Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passé, débarrassé de sa partie liquide, les convives en font avec les doigts des petites boulettes qu’ils trempent dans une sauce composée de piment broyé et de ciboules. Si un buffle meurt, si un sanglier ou un cerf est tué à la chasse, les Indiens en font dessécher les chairs au soleil et les conservent ainsi presqu’à l’état de cuir pour les jours de gala; comme la viande de mouton et de vache est fort chère, cette tapa, comme ils l’appellent, est une ressource précieuse pour eux. L’iguane, qui dans l’Inde est recherchée par les Européens et les Hindous, est dédaignée par les Indiens des Philippines; ils mangent pourtant avec délices les roussettes, énormes chauves-souris très grasses, et que l’on trouve par milliers au bord des lacs, suspendues la tête en bas aux branches des arbres à coton. L’eau est la boisson habituelle des indigènes; ils ne boivent du vin de palmier et de cocotier que les jours de fête.

Les maisons des métis et des créoles, — maisons qu’habitent les Européens, — n’ont qu’un étage supporté par un mur en pierre de taille, s’élevant au-dessus du sol à une hauteur qui varie de 10 à 30 pieds. On y entre par une porte cochère ouvrant sur un péristyle appelé sagouin, et sous lequel on remise les voitures. Ces habitations, d’une belle apparence, sont entourées de vérandahs qui permettent à l’air de circuler autour des chambres en les garantissant des rayons directs du soleil. Les chambres à coucher sont petites et sans aucun ornement. On y voit le lit en rotin des pays chauds enveloppé de sa transparente moustiquaire, une table et un lavabo. Le salon est grand, sans rideaux, sans tableaux, sans objets d’art. On y retrouve la console des Indiens, les pots de fleurs artificielles, la guitare, et trop souvent un piano de fabrique allemande. C’est là que chaque soir la famille se réunit pour la tertulia, c’est-à-dire pour recevoir les amis et prendre le thé ou le chocolat en commun. A l’angélus, les maisons s’éclairent, et aussitôt les enfans, grands et petits, suivis des domestiques, viennent défiler devant les vieux parens, leur baiser la main, et leur souhaiter une bonne nuit; puis a lieu la prière du soir récitée en chœur par toutes les personnes présentes. Dans les rues et sur les promenades, lorsqu’au coucher du soleil les cloches des nombreuses églises de Manille sonnent l’angelus, les Indiens s’arrêtent et se découvrent pour prier, les voitures cessent de rouler, et les clairons des postes militaires sonnent une fanfare. L’amiral Laplace, qui se trouvait en calèche sur la promenade de la Calzada au moment de l’oraison, remarqua ce temps général d’arrêt. Au lieu d’en demander la cause, le brave commandant de l’Arthémise raconta, lorsqu’il écrivit ses voyages, que chaque soir, à Manille, au son d’une cloche, les cochers arrêtent leurs voitures, pour laisser les chevaux... se reposer. Il y a quarante ans de cela, et aujourd’hui,