Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Abreuvoir, le Passage du gué, le Rendez-vous de chasse, la Halte de muletiers, le Combat, les Arabes passant un gué, une Fantasia, les Cavaliers lancés au galop, le Bac sur le Nil, sont des merveilles de l’art le plus fin et le plus exquis. L’ensemble attire le regard, les détails le retiennent. Dans la tonalité générale, il y a une limpidité, une transparence, une lumière douce et égale qui rappellent l’aquarelle. Les frottis de la peinture à l’huile ne semblent pas susceptibles d’atteindre à une telle transparence. Mais la peinture de Fromentin, qui a la légèreté de l’aquarelle, en a parfois aussi le manque de corps, l’absence de solidité. Des fonds, des lointains, des premiers plans même sont pour ainsi dire lavés plutôt que brossés. Ce qui est sans reproche, par contre, c’est la touche spirituelle, affinée, alerte avec laquelle sont enlevées ces croupes de chevaux et ces silhouettes de Bédouins. Certaines figures sont posées comme des Meissonier, avec moins de perfection, d’art et de fini assurément, mais avec autant d’effet, avec plus de naturel, de vie et de liberté. Nul n’a rendu comme Fromentin, d’une touche vive et d’un dessin précis, les formes sveltes, la grâce nerveuse, l’allure emportée des chevaux arabes. Nul non plus n’a possédé à un degré plus élevé cette science de la lumière, qui est le premier élément du paysage.

C’est fort heureusement sans abandonner le paysage que Fromentin a fait une courte halte, entre l’Algérie et l’Egypte, dans le monde mythologique. Ses Centaures s’exercent à tirer de l’arc dans une prairie verdoyante. L’un d’eux vient d’un coup de flèche d’abattre un énorme milan qui gît à ses pieds. Un autre centaure, vu de dos, vise une proie que lui seul aperçoit ; un troisième, monté sur une éminence rocailleuse, domine toute la scène. Au premier plan, une blonde centauresse, accroupie sur l’herbe, montre son dos de femme aux blancheurs rosées, qui se confond presque, comme dans la Centauresse de Zeuxis qu’a décrite Lucien, avec la robe blanche de cavale qui couvre la partie inférieure de son corps. Il est impossible de distinguer exactement le point d’intersection où finit la race humaine et où commence la race chevaline. La chevelure flotte au vent avec l’allure emportée d’une crinière. Deux autres centauresses, à demi couchées au troisième plan, suivent d’un regard attentif les évolutions des chasseurs. Le seul défaut de ce beau tableau, — mais c’est un défaut capital, — est le manque absolu de style. Par une étrange anomalie, Fromentin, qui drape avec tant de grandeur et de noblesse ses Arabes du désert, ne trouve pas la grande ligne du nu. On peut dire qu’il ne savait pas déshabiller les figures. Les Nymphes au bord d’un ruisseau attestent le même dédain du choix des formes, la même inélégance du galbe. Le modelé solide et le puissant relief des centauresses ne sauraient racheter