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et par laquelle d’ailleurs il a obtenu de si merveilleux mirages. L’Audience chez un khalifat est une œuvre d’un grand style, en dépit des proportions moyennes du cadre. Ces figures pourraient être exécutées de grandeur naturelle ; elles subiraient sans y perdre cette épreuve qui serait funeste à tant de tableaux de genre.

On revoit avec la même admiration qu’au Salon de 1863 le Fauconnier arabe. Le cheval, lancé au grand galop, court dans une allure vertigineuse, rapide comme le vol des faucons. Il vient du fond de la toile et touche presqu’au bord du cadre ; on croit que le terrain va manquer sous ses pieds. Fromentin a peint deux fois le Fauconnier, l’un en petit, exposé sous le no 25, l’autre en plus grand, exposé sous le n* 32. Le petit tableau est peut-être d’une couleur plus vive encore. Le ciel y est d’un bleu plus ardent, l’herbe d’un vert plus vigoureux. La note si hardie de vermillon pur de la gandoura du cavalier, qui se répète avec une audace inouïe et un infini bonheur sur la courroie de poitrail du cheval, éclate avec plus d’intensité. D’un mouvement superbe et d’une admirable couleur, on peut dire que cette petite toile est un chef-d’œuvre.

On sait qu’Horace Vernet, et après lui Bida et d’autres peintres, surpris par le caractère de grandeur antique des Arabes, ont cru peindre d’après nature les figures bibliques en prenant pour modèles les nomades du désert. Les vieux maîtres, qui ont montré les patriarches et les apôtres avec le péplum des Grecs et la toge des Romains, les auraient travestis. Ce serait sur le sol même de la terre d’Israël, parmi les Bédouins, qu’il faudrait aller chercher les types et les costumes hébraïques. Dans son livre, Un Été dans le Sahara, Eugène Fromentin a, lui aussi, soulevé cette question. Voici sa conclusion : « Seul, par un privilège admirable, l’Arabe conserve en héritage ce quelque chose qu’on appelle biblique, comme un parfum des anciens jours ; mais tout cela n’apparaît que dans les côtés les plus humbles et les plus effacés de sa vie. Et si plus fréquemment que d’autres il approche de l’épopée, c’est alors par l’absence même de tout costume, c’est-à-dire en quelque sorte en cessant d’être Arabe pour devenir humain. Devant la demi-nudité d’un gardeur de troupeaux, je rêve assez volontiers de Jacob. J’affirme au contraire qu’avec le burnous saharien ou la machla de Syrie, on ne représentera jamais que des Bédouins. » En peignant son Berger kabyle, il semble que Fromentin ait voulu donner un corps à cette idée si juste et si profonde. Ce Kabyle, vêtu seulement d’une gandoura d’un ton neutre, conduisant son cheval nu au moyen d’un simple bridon et poussant devant lui un troupeau de moutons, a un caractère typique, générique et impersonnel. Ce n’est plus l’Arabe, ou, si l’on veut, c’est encore l’Arabe, mais c’est aussi le Syrien, l’Hellène et l’Hébreux. C’est avant tout dans la vérité générale