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au milieu de cette immensité de maigres bouquets d’arbres. La partie occidentale de la Patagonie la moins explorée est riche en sombres forêts d’arbres verts et résineux : les Araucans sont les maîtres de cette région. Tout ce territoire semble en somme n’avoir pas complété sa dernière évolution géologique, et être en retard d’une époque sur les contrées voisines.

D’après Darwin, ce sol aurait été soulevé en masse à une hauteur de 300 ou 400 pieds pendant la période des coquillages marins actuels. Hait longues époques de repos auraient interrompu ce long soulèvement; pendant ces intervalles, la mer aurait entamé profondément les terres et formé à des niveaux successifs les longues lignes de falaises escarpées dont l’ensemble simule un gigantesque escalier; tous ces phénomènes se succédant avec une grande uniformité, ainsi se seraient formées huit terrasses à peu près identiques, chacune élevée à peu près à 30 mètres au-dessus de la précédente. L’Indien lui-même qui habite ces solitudes a remarqué ces dispositions naturelles du sol et appelle cette contrée pampas hautes. La surface en est couverte de gros gravier produit du travail continu des flots de la mer à l’époque où elle frappait chacune des terrasses qui ont formé tour à tour son rivage. La rive actuelle subit encore aujourd’hui cette action des flots, et peut-être sera-t-elle un jour remplacée dans ce rôle, soulevée elle-même, en même temps qu’il se produira un abaissement du fond de la mer comme cela a eu lieu à d’autres époques. Pendant ces soulèvemens successifs, les terrasses supérieures ont pu se couvrir d’une végétation nourrie des parcelles terreuses étendues sur leurs surfaces, et provenant du broiement des parties désagrégées des montagnes, mais les inférieures laissent apparaître la couche tertiaire que l’on trouve dans les pampas basses à 92 mètres de profondeur, et qui est ici la continuation apparente de cette couche souterraine, à laquelle, en raison de ce caractère, on a donné le nom de couche patagonienne.

Jusqu’à la fin du siècle dernier, l’intérieur de la Patagonie est resté tout à fait ignoré, l’Espagne s’étant contentée de prendre idéalement possession de ce territoire. Magellan en 1520, Samiento et Drake vers 1580, Cavendish en 1591, s’étaient bornés à décrire les côtes; ce dernier seul avait remonté un petit cours d’eau insignifiant, la rivière Désirée, par 48 degrés, jusqu’à 30 milles dans les terres. Au XVIIIe siècle, quelques explorateurs tentèrent la description du pays intérieur, entre autres le père Falkner, chirurgien irlandais affilié à l’ordre des jésuites, Viedma et Villarino. Ces plaines stériles n’offraient par elles-mêmes aucun attrait, et ce que l’on en connaissait était plutôt de nature à éloigner quiconque eût eu la malencontreuse idée de s’y aventurer; la fable seule leur avait fait une célébrité. Sans que l’on sût l’origine de ce bruit, il s’était