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se trouvent à divers niveaux, mais plutôt dans les couches inférieures que dans les supérieures de la formation, sans que cependant ces dernières en soient dépourvues, ce qui suffit à démontrer que ces espèces n’ont disparu que peu à peu et n’ont pas été victimes d’un cataclysme général anéantissant simultanément tous les individus. Ces gisemens d’ossemens existent donc à une certaine profondeur, et comme les travaux publics pouvant donner lieu à des excavations ont été rarement entrepris, que les chemins de fer eux-mêmes, sur la surface pampéenne si plane, ne nécessitent aucun remblai ni déblai, leur existence aurait pu rester ignorée jusqu’à nos jours, si ces grands squelettes n’apparaissaient fréquemment à nu dans les berges entaillées des grands fleuves, et même des plus minces cours d’eau dont le lit est toujours profondément encaissé. Les berges du Parana, qui s’élèvent jusqu’à 20 mètres sur un parcours de plus de 300 lieues et se prêtent admirablement à ces études, ont fourni les remarquables échantillons qui abondent aujourd’hui dans le musée public et dans les collections particulières.

De longue date, ces grands squelettes que les plus ignorans remarquaient dans les rives des fleuves avaient attiré l’attention. Les indigènes et tous les gens ignorans en général avaient imaginé des explications qui ont une priorité de date sur celles de tous les savans modernes. Les gens de la campagne supposaient simplement que ces grands animaux devaient avoir de leur vivant l’habitude de se terrer, et que, sentant la mort venir, ils allaient l’attendre dans leurs immenses demeures souterraines, proportionnées à leur taille. De leur côté, les personnes préoccupées d’idées religieuses et de la nécessité de faire concorder les manifestations de la nature avec la lettre des Écritures se contentaient d’affirmer que les os fossiles de taille gigantesque ne sont pas dans leur état naturel, et qu’ils n’ont acquis leur grandeur que par accroissement dans la terre même, après la mort de l’animal, que sa taille pendant sa vie n’avait pu dépasser celle des animaux que nous connaissons et qui ont été sauvés du déluge.

A l’époque de la conquête et longtemps après, l’on attribua ces ossemens à des géans disparus. Un des chroniqueurs de la compagnie de Jésus, le P. Guevara, qui écrivait au XVIIIe siècle, discuta sérieusement l’existence d’hommes géans à une époque antérieure à la conquête, « formidable accumulation de chairs, dit-il, qui portent avec elles l’étonnement et l’épouvante, monstres humains qui ont dû peupler ce pays avant le déluge et dont il est probable que l’on découvrira un jour le lieu de sépulture! » Les chroniqueurs de l’école de Guevara s’occupaient d’ailleurs assez peu des restes d’organismes disparus et n’attachaient d’importance qu’aux