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sens de la quantité, c’est-à-dire de l’espace et du temps ? Voulez-vous dire que Dieu pourrait, s’il le voulait, se resserrer, se circonscrire en un point de l’espace, passer par le trou d’une aiguille, tenir dans une coque de noix ? ou encore qu’il pourrait commencer ou finir, avoir une jeunesse et une vieillesse ? La philosophie allemande s’est trop appliquée à démontrer l’idéalité de l’espace et du temps pour que de telles imaginations, dignes d’ailleurs des Mille et Une nuits, puissent s’appliquer à l’absolu. Aurait-on par là une sorte d’idée préconçue de justifier d’avance quelque doctrine d’incarnation ? Ce serait confondre deux domaines profondément différens, le domaine de la manifestation de Dieu et celui de son essence. Que Dieu puisse se manifester comme homme, qu’il puisse revêtir la forme humaine, c’est là un mystère dont nous n’avons pas ici à sonder la profondeur et à discuter la valeur ; mais ce mystère laisse parfaitement intacte la nature divine en elle-même. Ce n’est pas en soi, et dans son essence absolue, que Dieu s’est fait homme, qu’il a pris un corps, qu’il est mort sur la croix ; c’est par un acte spécial de sa volonté, qui n’est possible que par ce que lui-même et dans son fond il est absolu. On ne peut conclure de là que Dieu pourrait se changer en Jupiter s’il le voulait, et même se donner tous les plaisirs de Jupiter. Une telle conception changerait le christianisme en paganisme, et ce ne peut être là la pensée de M. Secrétan. Ainsi Dieu ne peut se rendre fini dans son essence même. Il ne peut pas, étant absolu, ne pas avoir une volonté absolue et une intelligence absolue : or c’est là ce que l’on appelle, à tort ou à raison, dans l’école de Descartes, l’infini. Il ne peut donc pas vouloir être fini. Il en est de même de la perfection, qui dans le sens cartésien n’est autre chose que l’absolu. Étant déjà par son essence liberté absolue et intelligence absolue, quelle autre perfection lui resterait-il à se donner, si ce n’est la bonté ? Être bon ou méchant, voilà tout le domaine qui puisse rester à la volonté. En examinant de près cette doctrine, on voit donc qu’elle se réduit à ceci, c’est que Dieu, au lieu d’être bon par nature, a été bon par choix. Ne nous parlez donc plus de la liberté absolue comme d’une nouvelle doctrine de l’absolu : parlez-nous d’une doctrine particulière sur la bonté divine. Cette doctrine est très soutenable ; elle n’est pas très éloignée de celle qu’ont soutenue Bossuet et Fénelon contre l’optimisme de Malebranche. Elle est donc très peu hétérodoxe, assez peu nouvelle ; elle ne constitue en aucune façon un étage nouveau de l’échafaudage métaphysique et se réduit en définitive à une question délicate de théodicée. Nous craindrions de fatiguer le lecteur en poursuivant la discussion jusqu’à ce terrain circonscrit où il ne s’agit plus d’ailleurs du principe premier, mais