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liberté absolue n’était autre chose que l’absolue tyrannie. C’était la doctrine de Hobbes, qui disait brutalement que l’attribut fondamental de la divinité est la toute-puissance : les âmes religieuses disaient la même chose, seulement il s’y mêlait un sentiment de piété qui masquait à leurs propres yeux le matérialisme de la doctrine ; mais leur principe n’était pas très différent. De même aujourd’hui M. Secrétan parle de la liberté absolue avec un sentiment de vénération que sa nature élevée et toute religieuse éprouve d’avance pour le principe suprême quelle qu’en soit la définition; mais, si nous faisons abstraction de ces sentimens personnels, qui n’ont rien à voir avec la philosophie, il ne reste que le concept brut d’une toute-puissance sans attributs, aussi indifférente au bien qu’au mal, et qui fera même plutôt le mal que le bien, peut-être parce qu’il est plus facile. Ce sont ces conséquences que l’école de Schopenhauer tirera de la doctrine de la volonté absolue, et qui en réfutent le principe, en tant du moins qu’on a cru poser par là un théisme supérieur à celui du passé.

M. Secrétan semble avoir entrevu ces conséquences et s’être efforcé de les détourner en nous disant quelque part et tout à fait en passant, comme un détail secondaire, que la volonté absolue doit être une volonté intelligente, car « la liberté sans intelligence ne serait que le caprice et le hasard[1]. » N’est-il pas étrange que, dans un système métaphysique un peu rigoureux, on fasse ainsi intervenir l’intelligence d’une manière aussi accidentelle et sans qu’il soit besoin d’aucune démonstration? « Il est inutile d’y insister, » dit l’auteur. Pourquoi donc? Est-il donc si évident que l’intelligence soit à l’origine des choses? Que devient la volonté sourde de Schelling? et une liberté intelligente est-elle une liberté absolue dans le sens de l’auteur? A coup sûr, pour ce qui nous concerne, nous lui accorderons sans hésiter son postulat, nous accorderons qu’une volonté sans intelligence n’est certainement pas une volonté; comment vouloir quelque chose sans le penser? Comment l’absolu dirait-il : « Je suis ce que je veux, » s’il était incapable de savoir ce qu’il veut être? Seulement nous demandons si, ce postulat accordé, il reste quelque chose du système, si cette parenthèse à peine indiquée et qui ne sera remarquée que par ceux qui savent d’avance le faible de la doctrine, ne la ruine pas par la base, quelque modestement qu’elle soit présentée.

En effet, si l’on accorde que l’absolu est une liberté intelligente, comment persister à soutenir que l’absolu n’a pas de nature, qu’il est tout ce qu’il veut, qu’il se crée lui-même, qu’il se donne même

  1. Philosophie de la liberté, leçon XVII.