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par une brillante métamorphose d’images métaphysiques, et que la force et la plénitude des mots fait illusion sur le peu de solidité des idées; mais, cette critique à part, il reste un ouvrage remarquable, trop peu connu, riche de pensées, et qui provoque à penser, d’une méthode savante et d’un vol élevé.

Quant au système considéré en lui-même, il se propose un double but : sauver la liberté divine en l’élevant à l’absolu : supprimer le panthéisme en le dépassant. Selon les philosophes de cette école, le panthéisme aurait facilement raison du théisme dogmatique; on ne peut le vaincre que par un théisme supérieur.

Selon nous, il y a beaucoup d’illusion dans cette supposition des Allemands, que chaque système doit en quelque sorte monter sur les épaules du précédent et atteindre un degré supérieur de ce mât de cocagne que l’on appelle la philosophie. Ce serait supposer que, dans l’ordre des premiers principes, il y a une échelle de degrés à l’infini, et qu’on pourrait toujours, de progrès en progrès, trouver un principe plus élevé que le précédent. Une telle hypothèse est contraire à la notion de l’absolu, qui ne serait plus ce qu’il doit être, s’il se surpassait perpétuellement lui-même. Et où trouverait-on une série sans limites de formules de l’absolu? Supposons qu’on veuille appliquer à la philosophie de la liberté le critérium et la mesure qu’elle applique elle-même aux philosophies précédentes, et que l’on n’y voie qu’un degré et un échelon de la science de l’absolu, je demande ce qu’on pourrait concevoir, supposer, imaginer au-delà d’une liberté qui se crée elle-même? On avouera donc qu’il y a au moins un terme, une limite, que l’on ne peut dépasser : ce serait le système même de l’auteur; mais alors pourquoi reprocher à telle philosophie d’être immobile, stagnante, dépassée? qui ne voit que ce reproche pourra s’appliquer à la philosophie de la liberté lorsqu’elle aura triomphé? Que faire de mieux en effet quand on a découvert la vérité que de s’y tenir? Il peut donc y avoir une philosophie immobile, j’entends immobile dans son principe, non dans ses formes : ce serait celle qui aurait trouvé la vérité. Ce ne sera donc pas une objection contre une philosophie d’être immobile, de ne pas se dépasser elle-même : elle ne le devrait que si elle était fausse, et la question est de savoir si elle l’est, si l’on a tort ou raison ; le fait d’aller plus loin dans un sens ou dans un autre ne préjuge en rien la solution, puisqu’on peut aller plus loin dans le faux aussi bien que dans le vrai. On ne peut donc admettre le critérium suivant lequel la dernière venue, entre les philosophies diverses, aurait toujours raison. Souvent la vérité consiste à reprendre un principe trop sacrifié, et c’est précisément ce qui est arrivé à la philosophie de la liberté. Cette philosophie a une certaine valeur