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les plus simples, même à se connaître eux-mêmes. On sait que l’exercice : tête droite, tête gauche, est le premier qu’on enseigne aux conscrits, et qu’il faut quelques jours pour les habituer à obéir promptement et sans se tromper à ce commandement. Ce sont des exercices analogues qui forment le commencement et la base de l’instruction des idiots. On ne saurait s’imaginer la peine et le temps qu’il faut prendre pour les accoutumer à désigner sans se tromper leurs yeux, leur bouche, leurs bras, leurs jambes, leurs pieds, etc.. Une bonne partie de la classe se passe ensuite en leçons de choses ; on leur enseigne le nom des animaux les plus usuels, et l’observation des phénomènes constants de la nature. À douze ans, ils ne savent pas que les feuilles poussent sur les arbres au printemps, et que c’est le grain de blé semé en automne qui donne la moisson en été. Aussi les premières promenades qu’on a fait faire dans les champs à ces pauvres petits êtres, qui avaient végété jusque-là dans les préaux de Bicêtre, étaient-elles pour eux une occasion perpétuelle d’étonnement et d’extase. On n’a pas seulement à lutter contre la lenteur de leur intelligence, mais aussi contre la grossièreté de leurs instincts. Il se livre chez eux une sorte de combat entre la bête et l’homme. Pour les aider à triompher dans ce combat, on compte beaucoup sur l’instruction religieuse. C’est sous la forme plus tangible des préceptes de la doctrine chrétienne que les premières notions morales arrivent à leur conscience engourdie ; c’est par là qu’on peut seulement parvenir à développer chez eux le sentiment de la responsabilité, dernier progrès qu’il faut les amener à accomplir pour qu’ils vivent de la même vie morale que les autres hommes. On peut penser tout ce que l’accomplissement d’une pareille tâche suppose de patience et réserve de déboires. Voilà trente-cinq ans que M. Delaporte s’y dévoue sans avoir reçu jusqu’à présent d’autre récompense que « a nomination comme officier d’académie. Puisse la reconnaissance des enfans qu’il a conduits des ténèbres à la lumière, et le modeste témoignage qui lui est rendu ici, lui tenir lieu de ce que cette récompense a eu peut-être d’insuffisant.

Arrivé au terme de ces deux[1] trop longues études, que j’ai dû consacrer aux souffrances physiques de l’enfance et aux remèdes qui sont apportés à ces souffrances, je les terminerai par l’expression d’un vœu qui en est en quelque sorte la conclusion naturelle. Il y a peu de temps, un riche banquier est mort en laissant 1 million à l’Assistance publique et en disposant que sur cette somme 500,000 francs seraient employés à la construction d’un nouvel hôpital. Le vœu que j’exprime est celui-ci : c’est que ces 500,000 francs

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1876.