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où tout aboutit, » — lorsque nous posons ainsi la personnalité au commencement et au terme de la science, nous n’entendons nullement, nous ne sommes nullement tenus à entendre que ces deux personnalités sont séparées l’une de l’autre, comme le moi d’un homme l’est de celui d’un autre homme : il va de soi que le rapport entre une personnalité infinie et une personnalité finie ne peut pas être le même que celui qui existe entre deux personnes également finies. Que l’infinie personne soit présente intérieurement à la personne finie, qu’elle la soutienne, qu’elle en soit la vie, l’âme et l’esprit, il y a là sans doute quelque chose d’obscur, mais pas plus que ne l’est l’hypothèse d’une substance impersonnelle prenant conscience d’elle-même dans les individus finis. Si donc c’est la conscience de l’unité universelle que le panthéisme craint de voir briser et morceler par la doctrine du théisme personnaliste, nous pouvons dire qu’elle ne court pas plus de risques dans un sens que dans l’autre.

Il est impossible de méconnaître la valeur et l’importance de ce retour offensif de Schelling contre l’idéalisme logique. Tout est-il original dans cette conception? L’opposition de l’existence et du pur rationnel n’était-elle pas au fond du réalisme de Herbart? Celui-ci n’avait-il pas dit également que l’existence ne peut pas être déduite, qu’elle est une « position absolue. » La définition de l’absolu par la liberté est-elle bien différente aussi de celle de Fichte dans sa première philosophie? Le moi « qui se pose lui-même » n’est-il pas aussi « cause de soi? » Peu nous importe d’ailleurs le degré de nouveauté et d’originalité de la dernière philosophie de Schelling; cette critique de la logique à outrance de l’école hégélienne est du plus vif intérêt. On n’était donc pas si mal éclairé en France lorsqu’on soutenait que le système de Hegel était un panthéisme abstrait, auquel manquait tout fondement effectif et réel, que ce système passait du domaine de la logique au domaine de la nature par un saut brusque et sans aucune raison, enfin que le principe des choses ne doit pas être seulement idée, mais encore volonté et personnalité. Ainsi la philosophie allemande, mieux instruite, finissait par se dire à elle-même ce que les spectateurs désintéressés lui avaient dit depuis longtemps.

Il ne faut pas croire d’ailleurs que les vues précédentes, exprimées par Schelling dans ses ouvrages posthumes, la Philosophie de la mythologie et la Philosophie de la révélation[1], fussent pour lui-même entièrement nouvelles, et, comme le dit avec raison M. Erdmann, elles n’ont excité un si grand étonnement que parce que l’on

  1. Schellings sämmtliche Werke (II. Abtheilung, t. I-IV, 1857-1858).