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les Français), de se briser et de se morceler dans ce monde des choses accidentelles, irrationnelles, rebelles à toute conception. On peut lui appliquer le mot de Térence : cum ratione insanire... » On ne peut comprendre, dit encore Schelling, « ce qui pourrait déterminer l’idée, une fois arrivée à l’état de sujet absolu, à s’objectiver de nouveau, à perdre toute subjectivité et à se laisser tomber dans la pire des extériorités, celle de l’espace et du temps; car la raison, dans laquelle tout se développe avec une absolue nécessité, ne peut rien connaître de ce que nous appelons une résolution, une action, un fait. »

En conséquence le panlogisme ne peut se donner comme la philosophie absolue. Il n’en exprime qu’une partie, celle qui concerne les rapports logiques des choses; mais le réel, le positif, l’existence, lui échappent. Le panlogisme n’est qu’une philosophie « négative; » il faut le compléter par une philosophie « positive. » L’une est la philosophie de l’entendement, l’autre la philosophie de la volonté. L’une n’a affaire qu’à l’essence logique : elle est tout hypothétique, car jamais la logique ne pose l’existence des choses, elle la suppose. Elle signifie toujours que, si quelque chose existe, ce quelque chose se conformera à telles lois; mais telle chose existe-t-elle? Aucune déduction a priori ne peut nous l’apprendre. Ce n’est que l’induction[1] qui donne l’existence. Schelling va si loin dans cette nouvelle voie, si opposée à ses premières conceptions, qu’il en vient à rejeter absolument le célèbre argument a priori, la preuve de saint Anselme, si chère jusque-là au panthéisme allemand. Cette preuve, comme on sait, consiste à démontrer l’existence de Dieu en partant de son idée. Schelling affirme au contraire que, même pour Dieu, l’essence n’enveloppe pas l’existence. L’existence est un fait premier qui ne peut se déduire de quoi que ce soit. L’absolument

  1. Il ne faut cependant pas se faire illusion sur la portée de cette expression. Il ne s’agit ici ni de la méthode expérimentale des Anglais, ni de la méthode psychologique des Français. C’est une induction, dit Schelling, « qui prend son point d’appui dans la pure pensée. » Au fond, c’est toujours la déduction, seulement sous forme d’analyse plutôt que de synthèse, comme on le voit lorsque Schelling cherche à établir ce qu’il appelle le commencement de la philosophie (Philosophie der Offenbarung, dixième leçon, p. 204.) Voici comment il procède et comment il pose le concept de la pure volonté : « Il faut partir, dit-il, de ce qui est avant l’être (was vor dem seyn ist). Ce qui est avant l’être, c’est ce qui n’est pas encore, mais ce qui sera (das noch nicht seiende, aber das sein wird), c’est le futur absolu (das absolute zukünftige). Or le futur, ou ce qui sera, c’est ce qui peut être (das unmittelbar sein könnende). Ce qui peut être, c’est ce qui veut être, c’est le pur vouloir (das blosse wollen). L’être consiste donc dans la volonté. » On voit par cet exemple que nous avons toujours affaire avec la méthode déductive, j’ajoute à une déduction aussi artificielle et aussi creuse que celle de Hegel. L’idée de découvrir la volonté autre part que dans la conscience du sujet voulant est absolument vaine. L’école de Schopenhauer n’est pas tombée dans cette faute...