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Plusieurs fois il avait entrepris et annoncé quelque publication; puis il s’était arrêté, et cet écrivain, si fécond jusqu’alors, paraissait s’être imposé un religieux silence. En 1813, il avait commencé l’impression d’un grand ouvrage, qui devait être intitulé : les Ages du monde (die Weltalter) ; mais il la suspendit brusquement, et de ce travail il ne resta qu’une dissertation sur les Divinités de Samothrace (1815). Toute son activité cependant continua d’être appliquée à l’enseignement. En 1820, il alla s’établir à Erlangen et y fit des cours jusqu’en 1826. À cette époque, l’université de Landshut ayant été transportée à Munich, Schelling demanda et obtint la chaire de philosophie dans cette ville, qui, sous l’influence du roi Louis, allait devenir un centre esthétique, archéologique et littéraire. Ce fut dans cette dernière chaire que Schelling enseigna sa philosophie de la mythologie, devenue plus tard philosophie de la révélation. Les Leçons mythologiques furent annoncées dès 1830 par les catalogues de librairie comme devant paraître prochainement ; l’impression même en était arrivée à la seizième feuille lorsque Schelling, encore une fois, l’arrêta par des raisons qu’on ignore. Bientôt dans le nord de l’Allemagne, après la mort de Hegel, on commença à devenir attentif à l’action que Schelling exerçait à Munich. De jeunes disciples répandaient la nouvelle d’une transformation de sa philosophie. En 1833, il sortit de son silence par une déclaration de guerre à l’école hégélienne. Ce fut dans une préface à la traduction allemande des Fragmens philosophiques de Victor Cousin, préface remplie d’amertume contre Hegel et ses disciples, et annonçant un retour offensif contre les fausses conséquences qu’on avait tirées de ses doctrines. Ce fut quelque temps après qu’un célèbre hégélien, le spirituel Rosenkranz, voulant se rendre compte par lui-même du mystérieux enseignement de Munich, dont on parlait beaucoup sans en rien savoir de précis, s’y rendit incognito pour entendre le grand maître : il nous en donne dans un de ses livres[1] le tableau curieux et piquant :

« En l’été de 1838, dit-il, j’étais à Munich, et je brûlais du désir de voir Schelling. Mais, me disais-je à moi-même, si je vais visiter Schelling, de deux choses l’une : ou il ne me recevra pas, et je lui en voudrai d’une circonstance qui serait peut-être accidentelle, et je croirai qu’il m’aura repoussé à titre d’hégélien, ou bien il me recevra; or il est bienveillant et aimable, et je me sentirai lié à lui.

  1. Schelling, Vorlesungen un Sommer 1842, von K. Rosenkranz (Danzig 1843). Ce livre est une des représailles de la jeune école hégélienne de 1830 contre la réaction de Schelling à Berlin. Il faut donc le lire avec précaution; cependant il donne une idée vive et juste des variations et des métamorphoses constantes de la philosophie de Schelling,