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l’air de la bien comprendre, ont cru y trouver ce qu’ils cherchaient. L’ensemble de ces vues est aujourd’hui assez complètement développé pour qu’il soit possible de s’en faire une idée assez nette. Nous étudierons donc la philosophie de la volonté sous les deux formes qu’elle a prises, l’une à la suite de Schelling, l’autre à la suite de Schopenhauer : la première expliquée et développée dans la Philosophie de la liberté, de M. Secrétan, de Lausanne ; la seconde, corrigée et remarquablement enrichie par M. de Hartmann, dans sa Philosophie de l’inconscient. Ce sont en effet ces deux philosophes surtout que nous voulons faire connaître, et nous n’emprunterons à leurs deux illustres prédécesseurs que ce qui sera nécessaire à l’intelligence de leurs idées.


I.

Lorsque Schelling, après avoir passé de la philosophie du moi, qui lui était commune avec Fichte, à la philosophie de la nature, et après avoir réconcilié l’une et l’autre dans la philosophie de l’identité, transformée elle-même bientôt en une sorte de théosophisme alexandrin, sous l’influence de Jacques Boehm et de Giordano Bruno, se retira dans le silence vers 1815, le gouvernement incontesté de la philosophie en Allemagne demeura entre les mains de Hegel. Ce fut le règne de la logique. Dans ce système en effet, tout est logique, tout est pensée, tout est rationnel. Ce que nous appelons substance, cause, force, activité, «ne sont que des modes de la pensée. Tout ce qui est rationnel est réel; tout ce qui est réel est rationnel. Ce n’est plus seulement le panthéisme, c’est le panlogisme (der Panlogismus). L’hégélianisme s’était introduit dans tous les domaines de la science, dans l’esthétique, dans l’histoire, dans le droit, dans la religion. Partout on racontait les évolutions de l’idée. Tout était idée. Un peuple était une idée, une étoile était une idée ou un moment de l’idée. Hegel lui-même était l’idée absolue. Le rayonnement de ces pensées pénétrait jusqu’en France, et l’on sait quel succès elles eurent à la Sorbonne en 1828.

Pendant ce triomphe de l’hégélianisme, à peine tempéré par la résistance honorable, mais passagère, de la philosophie de Herbart, que devenait Schelling, qui depuis 1815 semblait avoir renoncé à la publicité, mais qui était encore dans toute la force de l’âge et qui devait même survivre à Hegel de vingt années? On savait qu’il avait dirigé ses études du côté de la mythologie; mais il n’était pas vraisemblable que ce génie essentiellement métaphysicien et poète s’occupât de la mythologie seulement en érudit. Selon toute apparence, c’était une forme nouvelle, un cadre nouveau pour sa philosophie.