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sous les meilleurs auspices, recommandé par le duc de Broglie et par Auguste de Staël. Il est vrai que la république de Genève avait alors le rare avantage d’être gouvernée par un sénat de savans et d’hommes de lettres. M. de La Rive, physicien distingué, professeur populaire, était président d’un conseil où siégeaient les hommes les plus instruits de ce petit canton, Pictet, de Candolle, Prévost. L’hospitalité y était simple, cordiale, sans faste, comme il appartient à des gens qui ne veulent manifester leur fortune que par l’aspect confortable d’une maison bien tenue. Quelques étrangers. Anglais ou Russes, y étalaient seuls le luxe des grandes villes. En un mot, Genève offrait à notre Américain l’aspect d’une petite capitale où l’intelligence est plus en honneur que la richesse.

De l’autre côté des Alpes, le contraste était frappant. A Milan, à Venise, il n’y avait pour ainsi dire pas de société. Dans un petit village sur la Brenta, à 14 milles de Venise, Ticknor retrouva Byron, déjà séparé de sa femme et vivant dans la solitude avec son ami Hobhouse, un homme d’état, d’esprit fort pratique, dont la jeunesse avait été orageuse. Ce dernier point était la seule analogie qu’il y eût entre les deux amis. Ils projetaient d’aller ensemble aux États-Unis l’année d’après, projet invraisemblable, observe Ticknor; « l’un ne s’intéressera qu’aux progrès d’un peuple dont le caractère et les institutions ont encore toute la fraîcheur de la jeunesse, tandis que l’autre ne voudra que voir les Indiens dans leurs forêts, recevoir l’écume du Niagara, gravir les Andes, remonter l’Orénoque. »

Enfin il arrivait à Rome le 2 novembre 1817. Tout ce qu’il avait eu d’enthousiasme depuis qu’il avait débarqué en Europe se réveillait devant la ville éternelle. Tout lui plaisait à Rome, les monumens modernes aussi bien que les monumens antiques, et par-dessus tout la société cosmopolite qu’il y rencontrait. Quelque bon protestant qu’il fût, il était insouciant dans ses relations sociales; aussi ne manqua-t-il pas de se faire présenter au souverain pontife. C’était encore Pie VII à cette époque, et l’on n’a pas oublié d’ailleurs que Ticknor détestait Napoléon. Le récit de son audience est donc empreint d’un profond respect : « C’est le seul souverain d’Europe que j’aie jamais eu la curiosité de voir, écrit-il à son père, et je le désirais beaucoup, à cause de la dignité ferme qu’il a montrée dans les circonstances les plus difficiles lorsque les rois et les gouvernemens cédaient tous à la force. Nous fûmes présentés par l’abbé Taylor, un prêtre irlandais. Comme Américain, nous eûmes le privilège d’une audience privée à un moment où le pape n’en donne point. Il y avait très peu de cérémonie ou d’apparat; cela m’a beaucoup plu sous tous les rapports... La conversation roula presqu’en entier sur l’Amérique. Le pape parla de notre tolérance