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pas encore été découvert. Nous avons donc dès aujourd’hui les élémens nécessaires pour connaître le Forum tout entier.

Il est vrai que ce n’est pas le Forum véritable que les fouilles nous ont rendu : nous n’en avons plus que d’informes débris. Il ne reste de la plupart des édifices que quelques décombres. Ces décombres assurément raniment de grands souvenirs. Ce n’est pas sans émotion qu’on se promène sur le pavé de la voie Sacrée où tant de triomphes ont passé, qu’on foule les larges dalles où tant de grands personnages ont posé le pied; mais ces dalles sont partout fendues ou brisées, le pavé des rues s’est soulevé sous le poids qu’il a porté durant tant de siècles : tout est en ruines. Ajoutons que pour réunir les deux quartiers de la ville moderne, il a fallu laisser subsister au milieu des fouilles une disgracieuse chaussée qu’on appelle le pont de la Consolation; elle partage le Forum en deux et ne permet nulle part de l’embrasser dans son ensemble. Pour le voir tel qu’il devait être, il faut d’abord nous débarrasser par la pensée de cet obstacle incommode; il faut surtout, ce qui est bien plus difficile encore, réparer et relever toutes ces ruines. — C’est ici que la restauration de M. Dutert nous devient utile; elle aide notre imagination à revenir à près de deux siècles en arrière et la remet sans trop d’efforts en présence de ce lointain passé.

Supposons donc que nous avons sous les yeux non pas des ruines amoncelées, mais le Forum entier, intact, tel qu’il était à l’époque où commence la décadence de l’empire, après les Antonins. Plaçons-nous, pour le bien voir, dans un lieu commode et central, d’où il soit possible de l’embrasser tout entier, par exemple sur cette tribune aux harangues de César dont je viens de parler, et regardons le spectacle qui se développe devant nous. Je ne serais pas surpris que le premier coup d’œil ne remplît pas notre attente : nous sommes accoutumés à mettre parmi les qualités principales d’une place publique sa régularité et son étendue; or le Forum est petit et irrégulier. Il se composait même, à l’origine, de plans différens et inégaux : au-dessus d’une plaine marécageuse s’élevait le Comitium, qui avait lui-même au-dessus de lui le Vulcanal, d’où l’on montait par une rampe raide jusqu’au Capitole. Dans la suite, la construction de grands édifices parvint à dissimuler en partie ces différences de niveau; mais ces édifices, bâtis au hasard, à des époques très diverses, ne se correspondent pas toujours entre eux. Ce sont les siècles, on peut le dire, qui ont fait le Forum ; il n’y a pas eu d’architecte qui en ait tracé le plan d’avance, qui ait réglé les proportions de la place et distribué les monumens autour d’elle; aussi sont-ils entassés sans ordre et pressés les uns contre les autres. Chacun des grands personnages qui ont gouverné la république