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à encourager les archéologues dans leurs espérances et dans leurs efforts que les découvertes qu’on a faites depuis quelques années sur le mont Esquilin. Le succès de ces fouilles a été d’autant plus remarquable que l’entreprise n’avait rien de scientifique : il s’agissait simplement de construire un quartier neuf; mais à Rome il n’est pas possible de remuer les terres, de creuser à quelque profondeur les fondemens des maisons sans tomber sur quelque antiquité. C’est ce qui est arrivé cette fois encore, et la science s’est trouvée profiter des travaux qui n’avaient pas été entrepris pour elle[1].

L’Esquilin n’est pourtant pas une des montagnes qui ont tenu le plus de place dans l’histoire de Rome. C’était, vers la fin de la république, un endroit désert et de mauvais renom. On y faisait ordinairement les exécutions capitales; les hommes libres y étaient décapités sur un billot, les esclaves attachés au gibet ou mis en croix. Les cadavres de ces malheureux, quand personne ne venait les réclamer, restaient sur le lieu du supplice jusqu’à ce que les oiseaux de proie les eussent dévorés; aussi les vautours de l’Esquilin avaient-ils à Rome une réputation sinistre. Les environs servaient de cimetière pour les pauvres gens de la ville ; c’est là qu’au milieu de tombes misérables se trouvaient les fameux puticuli ou pourrissoirs, sorte de sépulture publique où l’on jetait les gens qui n’avaient pas laissé de quoi se faire enterrer à leurs frais. L’aspect de ces lieux changea tout à fait sous Auguste. Mécène, qui voyait avec regret un des quartiers les plus salubres de Rome rester inhabité, résolut d’y ramener la vie. Il acheta à vil prix ces terrains abandonnés, y planta des jardins magnifiques, les Mœceniani horti, si célèbres dans l’antiquité, au milieu desquels il se fit construire un palais. Cette charmante maison, d’où l’œil embrassait toute la plaine, avait une telle réputation de salubrité que l’empereur Auguste venait s’y établir quand il était malade. Dès lors la vieille colline, jusque-là si délaissée, se peupla de riches habitations, et le poète Horace fut heureux de chanter dans ses vers cette métamorphose

  1. Il faut dire pourtant, à l’honneur de la société industrielle qui construisait le quartier neuf, qu’elle a fait aussi entreprendre des fouilles à ses frais par un archéologue distingué, M. Brizio, et qu’elle en a fait publier les résultats dans un ouvrage intitulé Pitture e sepolcri scoperti sull’ Esquilino, Roma 1876. M. Brizio a fouillé d’anciennes tombes qui se sont trouvées dans le voisinage des travaux de la compagnie. L’une d’elles contenait des peintures très curieuses qui représentaient la fondation de Lavinium, la mort d’Énée et du roi Latinus. Comme ces peintures, d’après l’opinion de M. Brizio, sont antérieures à l’époque d’Auguste, elles ont l’avantage de nous faire connaître en quel état Virgile a trouvé ces légendes, dont il a fait le fond de son poème, et ce que lui fournissait l’opinion publique. M. Brizio a découvert aussi un columbarium très important de la famille des Statilii Tauri, qui joua un si grand rôle au premier siècle de l’empire. Les inscriptions qu’il renferme nous donnent des renseignemens très intéressans sur l’organisation de l’esclavage dans les maisons antiques.