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La première impression, il faut l’avouer, n’est pas très favorable. Au sortir de la gare, on traverse un quartier neuf qui a le tort de ressembler à tous les quartiers neufs du monde. — Rome serait-elle donc menacée de devenir une ville comme une autre ! — On y trouve de ces maisons d’une élégance banale, qu’on a vues partout; on côtoie un immense édifice, sorte de caserne sans caractère, sans style, destiné à devenir le ministère des finances, et qui fait un piteux effet auprès des grands palais du XVIe siècle; on traverse des rues larges et droites qu’inonde un soleil brûlant, et l’on se souvient que déjà du temps de Néron, quand il rebâtit la vieille ville sur un plus vaste plan, les badauds admiraient beaucoup la magnificence des nouvelles constructions, mais les gens sages ne pouvaient s’empêcher de regretter ces anciennes rues étroites et tortueuses où l’on trouvait toujours tant d’ombre et de frais. Ce début n’est guère encourageant, et le reste semble d’abord y répondre. Quand on descend du Quirinal au Corso, on trouve encore bien des changemens dont on est frappé. Le Corso, avec les rues qui le traversent, depuis la place de Venise jusqu’à celle du Peuple, a toujours été l’endroit le plus animé de la ville; il me semble qu’il est devenu plus animé encore, et que la population n’en est plus tout à fait la même. Les prêtres, les moines surtout, y sont plus rares, et ceux qui restent ne paraissent pas avoir le regard aussi assuré et la contenance aussi fière : évidemment ils ne se sentent plus les maîtres. Parmi les gens qui les ont remplacés, on est fort surpris d’en voir beaucoup qui marchent vite et qui semblent avoir quelque chose à faire, ce qui ne se voyait guère autrefois. Aussi n’appartiennent-ils pas à l’ancienne population romaine : ce sont en général des employés de ministère, des commis d’administration, tous venus du dehors, et qui apportent ici des habitudes nouvelles. A l’heure même où, suivant l’ancien proverbe, on ne voyait que des chiens ou des Anglais dans les rues, on les rencontre actifs, affairés, heurtant du coude ceux qui sont sur leur route, au grand ébahissement des vieux Romains, qui ne peuvent pas comprendre qu’on sorte à l’heure de la sieste et qu’on se presse lorsqu’il fait chaud. Quand le soir est venu, le mouvement redouble. Il y a un moment, vers six heures, où la rue appartient aux marchands de journaux. Ils vous assourdissent de leurs cris, ils vous interpellent, ils vous poursuivent. Les journaux abondent à Rome; il y en a de tout format, de toute nuance, beaucoup plus de violens que de modérés, selon l’usage, qui sollicitent les cliens par la modicité de leur prix et la vivacité de leur polémique. Que nous sommes loin du temps où l’on ne lisait que ce bon Giornale di Roma, si soigneusement expurgé par la police, si ami des gouvernemens légitimes, et qui ne savait jamais les révolutions que plusieurs semaines après