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pourrait rejaillir d’une telle retraite sur la nation, et les conséquences qui peuvent en résulter pour la sûreté du roi de Pologne, m’ont affecté si fortement que j’ai cru devoir prendre une résolution qu’il n’y a que la nécessité absolue qui puisse justifier : c’est de faire retourner nos gens sur leurs pas, moi à leur tête. Je ne dois pas cacher à votre majesté que nous ne marchions à une entreprise d’autant plus hardie que les Russes auront vraisemblablement profité de notre éloignement pour rendre nos tentatives plus difficiles ; mais nous y allons à dessein de périr tous plutôt que de revenir avec la moindre tache. »

Pendant deux jours, il prend avec calme et lucidité toutes les mesures pour régler les affaires pendant son absence, pour la transmission des nouvelles qu’il enverra, pour l’envoi régulier de vivres et de munitions à Dantzig. Ses lettres étaient du 20 mai ; son arrivée devant la ville assiégée est du 23. On sait ou l’on devine facilement la suite. Il a une poignée d’hommes contre deux corps d’armée ; une attaque est résolue pour le 27, de concert avec une sortie des assiégés. Plélo prend son poste de combat ; il va se placer à côté du porte-drapeau du régiment de Blaisois, « personnification du devoir et de la patrie absente, » dit bien M. Rathery. On le vit longtemps marcher, l’épée à la main, encourageant les troupes de ses paroles et de son exemple : un premier retranchement est franchi ; mais nos grenadiers sont pris entre trois feux : le vieux Lamotte fait rentrer ses troupes, pendant que, du côté de la ville, on doit aussi reconnaître la journée perdue. Qu’est devenu Plélo ? Suivant M. Rathery, qui a soigneusement étudié les versions diverses, après avoir essayé en vain d’entraîner nos soldats jusqu’au second retranchement, criblé de blessures, il est tombé au pied d’un arbre, et c’est là que les Russes l’ont relevé ; emporté dans leur camp, il y est mort étouffé par une violente hémorragie.

Il y en a qui ont froidement jugé, il y en a qui ont blâmé l’action dernière du comte de Plélo. La Beaumelle plaisante à ce sujet : Plélo s’est fait tuer, dit-il, parce qu’il s’ennuyait à périr dans son ambassade de Copenhague. On lit dans une relation écrite par un de ses officiers « qu’il n’aurait pas eu ce sort s’il fût resté dans le port de Weichselmünde (en avant de Dantzig), ou mieux à Copenhague, comme M. de Lamotte l’en avait prié. » Voilà qui paraît évident, M. de Talleyrand eût été d’avis que ce diplomate eut pour le coup trop de zèle. La vérité est que Plélo s’est dévoué au nom du patriotisme et de l’honneur ; on ne calcule pas assez de quelle utilité sont pour une cause de tels dévoûmens ; quand, aux mains du cardinal Fleury, le cabinet de Versailles était si insouciant et inerte, pour combien fallait-il compter ces actes héroïques de quelques enfans perdus qui mouraient au loin pour relever le nom de la patrie ?

L’histoire de la mort du comte de Plélo était assurément connue avant cette biographie nouvelle, mais non pas avec tous les intéressans détails