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REVUE. — CHRONIQUE.

moment suspendue, il est vrai, par ces vacances de Pâques qui sont une heureuse trêve pour le gouvernement comme pour les chambres, qui permettent à nos députés d’aller se reposer de ce qu’ils n’ont pas fait, à M. le ministre de l’intérieur d’aller se délasser en Italie, à Florence et à Venise. Pour l’instant donc le silence est à Versailles, le printemps met nos ministres en humeur de voyage, et il n’y a pas péril de conflits ou de crise tant qu’on n’est pas en présence. Le conseil municipal de Paris se charge tout au plus d’amuser la scène par les querelles burlesques qu’il fait à M. le préfet de police, atteint et convaincu de n’avoir pas voulu aller rendre compte de la conduite de quelques-uns de ses agens devant la médiocre convention du Luxembourg; mais c’est la petite pièce jouée pour un public indifférent. La politique sérieuse a un mois de répit. La situation, au fond, ne reste pas moins ce qu’elle est, ce qu’on la fait. Elle ne garde pas moins sa faiblesse qui naît d’une majorité sans direction, d’un gouvernement sans appui efficace, et ce n’est point certes par des élections comme celles qui se succèdent qu’elle se fortifiera, qu’elle prendra un plus rassurant caractère.

A Avignon, il y a quelques semaines, à part le candidat conservateur représentant les opinions monarchiques, il y avait deux candidats, l’un républicain modéré, l’autre radical, et c’est le radical qui a fini par l’emporter. A Bordeaux, il y a huit jours, c’est à peine si l’opinion conservatrice se présente, la république modérée ne paraît même pas. La lutte se concentre particulièrement entre deux candidats, l’un pasteur d’un protestantisme démagogique qui a eu des faiblesses pour la commune, l’autre, avocat périgourdin du radicalisme le plus exalté. L’avocat périgourdin a des chances de sortir victorieux du second scrutin qui se prépare, — et voilà Bordeaux, la ville sérieuse, commerçante, active, bien représentée dans ses opinions et ses intérêts! Il est vrai que la moitié des électeurs semble se désintéresser du vote. Ce ne sont là sans doute que des incidens, des élections partielles qui n’ont qu’une importance relative, qui ne changent pas l’esprit de la chambre; mais ce qu’il y a de grave, de caractéristique, c’est que ces élections sont par le fait l’image de toute une situation où ce qu’on appelle le parti modéré de la république n’a pas dans le jeu des institutions, dans la direction de la majorité l’initiative, l’ascendant qu’il devrait avoir pour la sûreté de la république elle-même. Ce qui triomphe en réalité dans tout cela, c’est l’incohérence, l’inexpérience, l’agitation. Pour quelques radicaux qu’elle gagne, la république perd les conservateurs sans prévention, les modérés qui feraient sa force, qui se découragent, et en définitive, au lieu de s’étendre et de s’affermir, elle se rétrécit, elle finit par devenir ce qu’on a déjà vu à Versailles, ce qu’on verra sans doute encore, un régime où l’esprit de parti ne trouve un contre-poids suffisant ni dans une majorité sensée, ni dans un gouvernement trop souvent réduit à tout ménager pour vivre.