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l’Europe, en écartant le danger d’une action isolée, la Turquie, de son côté, est bien plus intéressée à éviter tout ce qui pourrait la mettre en hostilité avec l’Occident et offrir des prétextes. Au lieu de résister à tout et d’attendre les sommations, qu’elle appelle le concours de l’Europe, allant au-devant des réclamations légitimes, prenant elle-même l’initiative. Si elle a pour elle le droit de l’indépendance, elle a plus que jamais besoin de le soutenir par une bonne politique. C’est le correspondant des hospodars, le familier de M. de Metternich, fort ami des Turcs, qui écrivait autrefois : « Voici, selon moi, la seule solution possible du problème. La Porte ne doit ni provoquer le danger, ni se soumettre à la volonté étrangère, mais désarmer l’un et l’autre par une résolution spontanée, courageuse... » Si ce n’est pas plus aujourd’hui qu’autrefois une solution de la question d’Orient, c’est du moins une manière de laisser à la paix ses dernières chances, de détourner une guerre comme celle qui échappait à toutes les volontés il y a un demi-siècle, où la Russie ne trouvait pas de grands avantages, mais où la Turquie trouvait un désastre.

Lorsque le chevalier de Gentz suivait au cours de la plume toutes ces complications de 1825-1828, qui ressemblent à une première ébauche des complications d’aujourd’hui, il n’oubliait pas la France dans cette correspondance, où il passait en revue toutes les politiques, tous les cabinets, la Russie, l’Angleterre, la Turquie, l’Autriche, la Prusse. La France d’alors, sous M. de Villèle, puis un instant sous M. de La Ferronnays, était fort accusée à Vienne de flatter et de favoriser la Russie, d’attendre l’impulsion venant de Saint-Pétersbourg. « Les rapports de Paris sont déplorables, écrivait de Gentz; — la politique extérieure est également malade. L’intimité avec la Russie va toujours en croissant...» Et de Gentz ajoutait bientôt : «Le ministère actuel, — ministère de 1828, — n’a qu’une ombre de pouvoir. Personne ne peut prévoir ce que deviendra dans peu la France livrée aux factions qui s’en disputent aujourd’hui la direction. Dans cet état d’extrême détresse, il n’est plus question de calcul politique... » La France du moment présent, sans cesser d’être dans les meilleures relations avec la Russie, ne suit point évidemment le cabinet de Saint-Pétersbourg dans sa politique extérieure, du moins dans cette partie de la politique russe qui dépasserait la mesure de l’intérêt européen; la France d’aujourd’hui est neutre, même lorsqu’elle agit en conciliatrice, et, quant au reste, si la situation intérieure de 1828 avait ses embarras, les affaires intérieures de 1877 ne sont pas précisément des plus simples. Nous ne savons pas trop ce que pourrait écrire maintenant un de Gentz, un observateur du dehors ayant à parler du ministère, de la majorité, des partis s’agitant non plus autour d’un roi abusé et aveuglé, mais dans une république plus menacée par ses compromettans amis que par ses adversaires.

Cette question intérieure qui nous touche de près, elle est pour le