L’erreur du cabinet de Saint-Pétersbourg serait de se laisser aller à
des confusions désastreuses, de se faire par exemple cette illusion qu’il
a besoin de rester armé pour exécuter les décisions de la conférence, les
volontés de l’Europe en Orient. Les volontés manifestes de l’Europe sont
toutes pour la paix, pour une action exclusivement morale et diplomatique, sauf un de ces cas exceptionnels et violens où l’on ne s’inspire
que des circonstances. Le protocole auquel tout le monde travaille ne
dira rien de plus ou il ne sera qu’une dangereuse équivoque. La Russie,
en restant sous les armes, ne garantit ni ne simplifie cette situation,
elle la complique. En diminuant ses arméniens dans la plénitude de son
initiative, elle ne commet pas un acte de faiblesse, elle atteste une fois
de plus et sous la forme la plus significative sa résolution de ne pas se
séparer de l’Europe; elle se défend elle-même contre la tentation de
se jeter un jour ou l’autre dans une campagne aventureuse ; elle fait
entrer la crise orientale dans une phase d’apaisement réel où toutes les
influences, au lieu de se combattre mutuellement, peuvent s’exercer en
commun dans un intérêt de civilisation. La Russie a maintenant à choisir entre les deux politiques, l’une rassurant l’Europe contre l’imprévu
des résolutions soudaines, l’autre conduisant à tout risquer, peut-être
pour peu de profit en dehors d’une victoire d’orgueil militaire comme
dans la guerre de 1828. A vrai dire, voilà encore une fois la situation !
Ces conflits de politiques, ces velléités impatientes, ces troubles, n’ont en effet rien de nouveau dans les affaires d’Orient. C’est le caractère de cette terrible question de se reproduire sans cesse, parfois sous les mêmes traits, souvent avec les mêmes incidens, si bien que ce qui se passe au moment présent semble en partie écrit d’avance dans ces Dépêches inédites du chevalier de Gentz aux hospodars de Valachie que M. de Prokesch-Osten vient de publier. Rien de plus curieux, de plus saisissant, que cette correspondance d’un homme de plus d’esprit que de scrupule, familier de M. de Metternich, bien placé pour tout savoir et tenant les hospodars au courant de toutes les négociations relatives à l’Orient dans ces années de la restauration qui vont jusqu’en 1828, jusqu’à l’invasion russe en Turquie. Les hommes ont changé, la situation est à peine modifiée. Autrefois, il est vrai, il s’agissait de la Grèce, aujourd’hui il s’agit de la Bulgarie, de l’Herzégovine; mais autrefois, comme aujourd’hui, c’est la même histoire de démarches plus ou moins collectives qui trouvent la Turquie rebelle, de médiations, d’interventions, de tentatives des gouvernemens pour saisir et fixer l’éternelle question. C’est le même débat entre les moyens moi-aux et les « moyens coercitifs, » la même lutte d’influences, le même travail subtil et inépuisable des puissances de l’Occident pour lier, pour retenir la Russie, de la Russie pour entraîner l’Europe. En 1825, après une démarche infructueuse à Constantinople, on est dans l’embarras, on se met à la recherche d’expédiens nouveaux.