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REVUE. — CHRONIQUE.

protection dont la conférence a résumé le programme, ou si l’on veut, il s’agit de veiller à l’application graduelle des vues bienfaisantes adoptées par la conférence sans se laisser entraîner dans des interventions militaires qui seraient le commencement d’une perturbation universelle. Tout dépend de l’importance relative qu’on donne à chacun de ces intérêts, la paix de l’Occident ou l’amélioration de l’Orient. Ce qui fait aujourd’hui la gravité de cette situation, c’est que malheureusement on négocie entre la Turquie surexcitée par les épreuves, réduite depuis un an à se défendre, à déployer toutes ses forces militaires, et la Russie disposant sur la frontière de 200,000 hommes qui n’attendent qu’un signal pour s’élancer avec ou sans le consentement de l’Europe. C’est ce qui aggrave tout, la grosse difficulté est là, de sorte que l’œuvre de pacification, d’amélioration qu’on poursuit, se complique de la question délicate d’un désarmement sans lequel tout ce qu’on fera peut rester à la merci d’un incident.

La bonne foi des gouvernemens n’est nullement en cause. La sincérité de la Russie est aussi sérieuse que celle de l’Angleterre, que celle de toutes les puissances. Tous les cabinets veulent la paix sans négliger le devoir de protéger les populations de l’Orient; mais les uns et les autres sont souvent sous le poids de ces fatalités qui naissent des positions prises, des vieilles défiances toujours prêtes à se réveiller. Lorsqu’on propose à l’Angleterre un protocole ou un échange de dépêches constatant les résultats acquis de la conférence, le persévérant accord de l’Europe, et réservant des délibérations ultérieures si elles devenaient nécessaires pour la réalisation du programme commun, l’Angleterre assurément ne peut refuser de souscrire à ces vœux, et elle ne refuse pas. Seulement elle se conduit en personne prudente, qui pèse les termes et tient à fixer d’avance la mesure de ses engagemens. Elle se dit de plus que cette œuvre de paix à laquelle on la convie, qu’elle prend fort au sérieux, peut être vaine tant qu’il y aura en présence des armées menaçantes, onéreuses, dont on pourra être tenté de se servir, ne fût-ce que pour mettre fin à une situation toujours tendue, et elle ne veut pas donner un blanc-seing à des interventions qu’elle serait plus tard réduite à désavouer inutilement. — Lorsqu’on presse la Russie de rester avec les autres gouvernemens dans les affaires d’Orient, de chercher dans l’accord de l’Europe les satisfactions qu’elle croit trouver dans la mobilisation d’une puissante armée; la Russie, à son tour, n’hésite pas devant les concessions; elle ne désire que l’action commune, elle se prête même spirituellement à toutes les subtilités de rédaction diplomatique, et au besoin elle ira peut-être jusqu’à rappeler une partie de son armée du Pruth ou à la démobiliser dans des conditions déterminées. Seulement elle demande ce qu’on lui donnera en échange de ce sacrifice, quelle garantie on peut lui offrir pour la réalisation des réformes sur lesquelles tout le monde est d’accord. Elle se réserve visiblement un