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l’avait chargé d’enseigner au monde à coups de canon les idées égalitaires. — « Ces idées font sa puissance, écrivait Hardenberg. La révolution a renouvelé la France, elle y a détruit les vieux préjugés, les vieux abus, et réveillé des forces endormies. La puissance de ces idées est si grande que l’état qui refuse de les accepter sera contraint de les subir ou se verra condamné à périr. » Aussi demandait-il avant tout la refonte des institutions civiles, l’abolition des privilèges, des servitudes féodales, l’émancipation du paysan, l’égalité de toutes les classes devant la loi et devant l’impôt. — « Nous devons accomplir, disait-il, une révolution dans le sens bienfaisant du mot et travailler au perfectionnement de l’humanité, non par des mesures violentes, mais par la sagesse de ceux qui nous gouvernent ; tel est notre but, notre principe dirigeant. Établir les principes démocratiques dans un état monarchique, voilà ce que l’esprit du siècle exige de nous. Quant à la pure démocratie, nous pouvons l’ajourner à l’an 2440, si tant est que la pure démocratie soit faite pour l’homme. »

Les réformateurs politiques de la Prusse en 1807 voulaient emprunter à Napoléon tout ce qu’il avait de bon et d’utile à leur donner; mais ils n’entendaient pas se faire ses plagiaires ou ses copistes. Un copiste est toujours un satellite, et le plus cher désir de Hardenberg était de mettre son pays en état de reconquérir son indépendance. Napoléon écrivait de Tilsitt à son frère Jérôme, dont il allait faire un roi de Westphalie : « Mon intention, en vous établissant dans votre royaume, est de vous donner une constitution régulière qui efface dans toutes les classes de vos peuples les vaines et ridicules distinctions. » Si la Prusse s’était contentée d’accepter les principes égalitaires de la révolution et d’abolir les distinctions vaines et ridicules, elle n’eût différé en rien de ce royaume de Westphalie, formé de ses dépouilles, qu’on venait de lui donner pour voisin. Il importait à Hardenberg, comme au baron de Stein, que les deux royaumes séparés par l’Elbe ne pussent être confondus l’un avec l’autre et qu’on distinguât à première vue un Prussien d’un vassal de Napoléon. Il avait compris que le vrai patriotisme suppose un esprit public, et qu’il n’y a d’esprit public que chez les peuples qui font eux-mêmes leurs affaires. Il sentait la nécessité d’écarter les mandarins, d’accoutumer la nation au self-government, de lui donner les libertés municipales les plus étendues, de créer partout des corps électifs, d’instituer des diètes provinciales et même des états-généraux. Ces réformes furent exécutées au jour le jour, pièce à pièce, et quand Hardenberg fut devenu chancelier, on put lui reprocher de n’avoir pas empli tout son programme; c’est la gloire de Stein de ne s’être jamais démenti.

En 1807, la Prusse ressemblait à un propriétaire qui a perdu dans un procès calamiteux la moitié de son bien, et qui, sous peine de mourir