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LES MEMOIRES
DU
PRINCE DE HARDENBERG

II.
APRES IENA[1]

M. de Moltke disait un jour, avec cette gravité modeste qui est chez lui à la fois une vertu et une attitude : « Nous ne savons pas encore ce que vaut réellement notre armée, car nous n’avons pas encore été battus. » La défaite est la pierre de touche des armées; les victorieux se ressemblent tous plus ou moins. Pendant la guerre de sept ans, les soldats du grand Frédéric avaient remporté d’éclatantes victoires et souffert de terribles désastres; Rosbach leur avait fait peut-être moins d’honneur que la solidité qu’ils montrèrent au lendemain de Hochkirch et de Kunnersdorf. En 1806, on put croire que la Prusse avait désappris non-seulement la stratégie et la tactique, mais ces vertus propres à l’homme de guerre qui réparent ou ennoblissent les grands malheurs. 4près avoir décidé de prendre l’offensive, on avait changé d’idée et perdu trois semaines l’arme au pied, attendant les Français, dont on ignorait les projets et les mouvemens; l’art de reconnaître l’ennemi et l’art de le tromper étaient alors des arts français. Les généraux du roi Frédéric-Guillaume III s’étaient laissé surprendre, ils avaient

  1. Denkwürdigkeiten des Staatskanslers Fürsten von Hardenberg, herausgegeben von Leopold Ranke; Leipzig, Duncker et Humblot, 1877, 4 vol. in-8o.