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dans son camp de Germanie, et, debout derrière les créneaux, il parle à un barbare que suit une horde immense. Ce barbare lui offre son aide, il est bref, hautain, armé d’une foi invincible ; on reconnaît Attila, le chef des Sans-nombre. Si Majorien veut la paix, Attila le fera roi. Majorien doute de la promesse du barbare et lui dit que ses frères ont été battus par les soldats de Rome. Savez-vous ce que le chef des Huns lui répond ? Il lui lance un calembour :

Nous n’avons de battu que le fer de nos casques.


Un calembour, dis-je, et de plus un contre-sens, puisque le fer battu « ne prend de l’éclat qu’en perdant de sa solidité. » C’est Buffon qui, dans son Discours sur le style, donne cette leçon de métallurgie au roi des Huns. Rappeler Buffon en chantant Attila, n’est-ce pas une parodie des plus drôles ? Supposez aussi que, dans une imitation fantasque de M. Victor Hugo, un esprit moqueur fasse dire à l’homme du XIXe siècle, tout enivré de sa force et de ses conquêtes : J’ai supprimé le temps, j’ai rapproché les distances, j’ai réduit le géant Espace à la condition d’un misérable nain ;

Je fais causer le Rhin, le Gange et l’Orégon,
Comme trois voyageurs dans le même wagon ;


Ne sera-t-on pas charmé d’une pareille trouvaille ? Bravo, s’écriera-t-on ; quelle fine critique ! quelle parodie exquise ! Eh bien ! ce n’est pas une parodie. L’écrivain qui a trouvé tout cela, l’écrivain qui se permet ces calembours et ces drôleries, c’est le poète lui-même, le poète de la Légende des siècles, celui qui, dans l’Année terrible, s’adressant à l’honorable général Trochu, l’apostrophe en ces termes : participe passé du verbe tropchoir

Il en coûte d’insister sur les critiques quand on aimerait à signaler des pages irréprochables. Par malheur, si la verve, la force, l’imagination, une puissance de style prodigieuse, éclatent à chaque pièce du recueil, les pages sans reproches sont bien rares. Parmi les meilleurs tableaux de cette galerie, le sentiment public a déjà indiqué Jean Chouan et le Cimetière d’Eylau : ici un touchant épisode des guerres de la Vendée, là un récit, familièrement épique, tiré des batailles de l’empire. Ce qui a charmé tous les cœurs dans ces deux poèmes, c’est l’inspiration humaine, la sympathie profonde. Oh ! que M. Victor Hugo a tort de ne pas faire vibrer plus souvent cette corde qu’il manie en maître ! Qu’on est heureux ici d’oublier l’histoire sans âme et la métaphysique sans lumière ! Sunt lacrymœ rerum. Les commisérations du poète pour les héroïsmes cachés, ses tendresses pour les dévoûmens obscurs, l’ont toujours