l’histoire. Dans sa transfiguration légendaire des âges, il est vaincu par Michelet et Quinet, par Cousin et Jouffroy, par Chateaubriand et Lamartine ; il est vaincu dans ses peintures de l’infini par la sublimité métaphysique de Leibniz. Quand il s’occupe des choses d’ici-bas, il supprime l’idée du progrès ; quand il s’occupe des choses d’en haut, il supprime l’idée du dieu moral. Ses deux erreurs font également injure à la majesté divine et à la dignité humaine.
Ceux qui s’étonneraient de nous voir discuter à fond des pages qui relèvent surtout de l’imagination épique montreraient qu’ils connaissent mal M. Victor Hugo. Il y a longtemps que Sainte-Beuve caractérisait très finement une notable part de son génie en l’appelant un Franc, un barbare, initié à toutes les subtilités byzantines. La composition des deux volumes (nous l’annoncions tout à l’heure, et l’on peut voir maintenant si nous avions raison) indique le dessein manifeste de donner une théologie pour enseigne et pour cadre à son épopée humaine écroulée. Ce serait faire tort à l’auteur que de considérer cet ouvrage comme un simple recueil de poèmes et de légendes. On y découvre une pensée plus haute, pensée bonne ou mauvaise, mais significative, et qui appelle la discussion. Cette pensée une fois jugée, notre tâche est presque finie. Il ne nous reste plus qu’à marquer d’un trait les principales pièces de l’ouvrage, à signaler celles qui souffrent des erreurs fondamentales du poète, et celles qui par la vertu de sa baguette magique échappent à l’influence funeste.
Le désordre que révèle la conception générale du livre devait nécessairement se retrouver dans un grand nombre des pièces qui le composent. De là les disparates, les incohérences, les voix qui grincent, les chants qui détonnent. À côté de ces pans de murailles dont les brèches superbes excitent l’admiration, on aperçoit je ne sais quels détritus, des fouillis de mots, des tronçons d’idées, ou plutôt, pour employer les termes qui reviennent si souvent sous la plume du poète, des amoncellemens, des échevellemens, des enchevêtremens monstrueux. Les pensées les plus fausses y sont mêlées sans cesse aux sentimens les plus nobles, les fantaisies les plus obscures aux plus lumineuses inspirations. Quand Xerxès fait frapper l’Hellespont de trois cents coups de fouet, c’est une belle idée de montrer Neptune irrité créant Léonidas, et de ces trois cents coups formant les trois cents Spartiates des Thermopyles ; mais pourquoi, dans la pièce suivante, faire tenir à Thémistocle un discours si peu grec, un discours plein d’élans héroïques il est vrai, mais plein aussi de déclamations puériles, discours de capitan qui crache au visage du destin ? C’est une idée dramatique de montrer