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Que me sert de briller auprès de ce néant ?
L’astre nain ne voit pas même l’astre géant.


Mais Sirius, l’astre géant, est humilié à son tour par Aldebaran, Aldebaran est humilié par Arcturus, Arcturus par la comète, la comète par septentrion, septentrion par le zodiaque, le zodiaque par la voie lactée, la voie lactée par les nébuleuses, les nébuleuses par l’infini, lequel enveloppe tout l’être, toutes les variétés de l’être, et ramène la multiplicité discordante à sa mystérieuse unité. Cet infini lui-même a-t-il le droit de parler ? Non, Dieu seul a ce droit, car Dieu seul peut prononcer le dernier mot. Dieu seul peut dire :

Je n’aurais qu’à souffler, et tout serait de l’ombre.


Certes voilà un concert grandiose. Est-il bien sûr pourtant que ce soit une poétique image de la vérité ? M. Victor Hugo, en voulant glorifier Dieu à sa manière, n’a-t-il pas contre lui la conscience de tous les siècles ? N’y a-t-il pas dans cet abaissement de la créature humaine une diminution du Créateur ? Entre cet homme qu’il traite de vermine et cette Divinité sans médiateur, placer comme des barrières sans fin ces masses énormes, n’est-ce pas se faire l’idée la plus fausse du mystère de la vie ? C’est aux métaphysiciens de rectifier ici les conceptions du poète. Pascal aussi appelle l’homme un ver de terre, mais avec quelle magnificence il le relève ! S’il lui défend de se vanter, comme il lui défend de s’abaisser ! Le roseau pensant, chez le grand chrétien de Port-Royal, est supérieur à l’univers qui l’écrase ; chez l’auteur de la Légende des siècles, le roseau pensant est écrasé par l’univers, et l’on ne voit rien qui lui rende le sentiment de sa dignité. Au reste, sans redire ici des paroles que tout le monde sait par cœur, je signalerai seulement une page peu connue qui répond, non pas certes avec plus de grandeur, mais avec plus de précision, aux doctrines de M. Victor Hugo. Lisez ce Discours de métaphysique composé par Leibniz dans un endroit où quelques jours durant il n’avait rien à faire ; on dirait la réfutation expresse de tout ce que le poète vient d’affirmer dans sa philosophie de l’Abîme. Dieu, dit Leibniz, est le chef des esprits, le monarque absolu de la plus parfaite cité ou république, telle qu’est celle de l’univers composée de tous les esprits ensemble, car il est aussi bien le plus accompli de tous les esprits qu’il est le plus grand de tous les êtres. Leibniz explique ensuite que la fonction des substances étant d’exprimer Dieu et l’univers, les substances qui l’expriment avec connaissance de ce qu’elles font l’expriment bien mieux sans comparaison que les natures brutes et incapables de connaître. Les natures inintelligentes, la Terre et Saturne, le Soleil