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de la flamme, et je puis brûler les mondes, les soleils, tout ce qui existe aux quatre points cardinaux. — Brûle donc ce brin de paille. — Agni frappe du pied et fait jaillir des fournaises qui versent des torrens de feu sur l’humble fétu. La tempête embrasée a lancé toutes ses laves, le brin de paille est toujours là. C’est le tour du dieu Indra. — Qu’es-tu ? dit-il à l’apparition. — Toi-même, qu’es-tu ? — Je suis le dieu de l’espace, j’embrasse tout, je vois tout, rien ne saurait m’échapper ; si un être cessait d’être visible à mes regards, c’est lui qui serait Dieu, non pas nous.

dit l’étrange clarté — Vois-tu ce brin de paille ?
Dit l’étrange clarté d’où sortait une voix.
Indra baissa la tête et cria : — Je le vois.
Lumière, je te dis que j’embrasse tout l’être ;
Toi-même, entends-tu bien, tu ne peux disparaître
De mon regard, jamais éclipsé ni décru !

À peine eut-il parlé qu’elle avait disparu.


Le symbole est si étrange qu’on l’a pris pour une mystification. Le dieu Vayou particulièrement appelait la parodie. Le moyen de croire que ce dieu burlesque ne fût pas une invention du hardi poète ! Ce qui est une invention, et une invention des plus saugrenues, c’est l’idée d’emprunter ce personnage aux théogonies indo-iraniennes et de le jeter sans façon à la tête du lecteur ébahi. S’il se trouve à Paris, à Londres, à Berlin, un petit groupe de mythologues capables de s’intéresser au dieu Vayou, est-ce donc pour ce public tout spécial que M. Hugo a composé sa pièce ? J’ose lui dire qu’il s’est trompé. Il n’apprendra rien aux maîtres et fera rire les profanes, ou plutôt, pour des raisons différentes, il provoquera la même gaîté chez les uns et les autres. J’ouvre le livre qu’un jeune savant, M. James Darmesteter, va soumettre prochainement à la faculté des lettres de Paris, et j’y trouve de curieux détails. Si le mot Vâyu, dans les Védas, signifie le vent et le dieu du vent, la personne du dieu dans la trinité indo-iranienne est bien autrement complète. « Dans l’Avesta, dit M. Darmesteter, Vâyu est un dieu qui agit dans les hauteurs, un dieu qui frappe, un dieu conquérant, conquérant de la lumière, anti-démoniaque ; dieu à la lance aiguë, à la large lance, à la lance pénétrante, tout lumineux, fort entre les forts, rapide entre les rapides ; un dieu retentissant, aux anneaux sonores, au casque d’or, au collier d’or, au chariot d’or, à la roue d’or, aux chaussures d’or, à la ceinture d’or, à l’arme d’or[1]. »

  1. Voyez Ormazd et Ahriman, leurs origines et leur histoire, par James Darmesteter, 1 vol. ; Paris, Vieweg.