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s’écroule. Le mur des siècles, c’est ainsi que le poète appelle le titanique échafaudage qu’il vient de décrire, le mur des siècles chancelle et tombe. Il ne reste plus que des ruines, des blocs, de longues déchirures, des entassemens percés de trous énormes au fond desquels on aperçoit l’abîme. Voilà de quelle vision est sorti ce livre, la nouvelle série de la Légende des siècles :


De l’empreinte profonde et grave qu’a laissée
Ce chaos de la vie à ma sombre pensée,
De cette vision du mouvant genre humain,
Ce livre, où près d’hier on entrevoit demain,
Est sorti, reflétant de poème en poème
Toute cette clarté vertigineuse et blême ;
Pendant que mon cerveau douloureux le couvait,
La légende est parfois venue à mon chevet,
Mystérieuse voix de l’histoire sinistre ;
Et toutes deux ont mis leur doigt sur ce registre.

Et qu’est-ce maintenant que ce livre, traduit
Du tombeau, du passé, du gouffre et de la nuit ?
C’est la tradition tombée à la secousse
Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse ;
Ce qui demeure, après que la terre a tremblé ;
Décombre où l’avenir, vague aurore, est mêlé ;
C’est la construction des hommes, la masure
Des siècles, qu’emplit l’ombre et que l’idée azure.
L’affreux charnier-palais en ruine, habité
Par la mort, et bâti par la fatalité,
Où se posent pourtant parfois, quand elles l’osent,
De la façon dont l’aile et le rayon se posent,
La liberté, lumière, et l’espérance, oiseau ;
C’est l’incommensurable et tragique monceau
Où glissent, dans la brèche horrible, les vipères
Et les dragons, avant de rentrer aux repaires,
Et la nuée avant de remonter au ciel ;
Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ;
C’est la lugubre tour des choses, l’édifice
Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice,
Fier jadis, dominant les lointains horizons,
Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons,
Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ;
C’est l’épopée humaine, âpre, immense, — écroulée.


Comprenne qui pourra. Nous disions que M. Victor Hugo, éprouvant le besoin d’expliquer le désordre de son œuvre, faisait preuve d’un scrupule très honorable. Malheureusement c’est là que doit s’arrêter notre éloge ; cette explication n’explique rien. Des mots ! des mots ! comme dit Hamlet. Comment le poète ose-t-il prétendre que ce mur vivant était d’abord un édifice aussi harmonieux que prodigieux, un édifice complet, régulier, logique,