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récemment émancipées. On peut deviner ce que répondit le ministre libre-échangiste. Il dit que la protection dont avaient toujours joui les colonies était la seule cause de leur détresse : la sécurité que cette protection donnait aux colons les avait engourdis dans la routine, avait éteint en eux tout esprit d’initiative, avait encouragé sur leurs plantations l’emploi des procédés les plus arriérés. L’existence de l’esclavage y avait maintenu l’habitude de dépenser beaucoup de forces et de main-d’œuvre pour un résultat très disproportionné. Loin de se laisser détourner de son but par les plaintes, même fondées, des colons, il insista donc avec la plus grande énergie pour obtenir l’adoption de son projet. Comme il s’appuyait sur l’intérêt des consommateurs, il se sentait ferme sur son terrain, et il eût probablement sacrifié à sa cause, si cela eût été nécessaire, la fortune même de ceux dont les intérêts allaient se trouver lésés. Du reste il ne se refusait à l’adoption d’aucun palliatif compatible avec la poursuite de son but : émancipation commerciale, — émancipation politique et administrative, — liberté de la navigation, — prêts aux planteurs, — mesures contre le vagabondage pour ramener les cultivateurs affranchis sur les habitations, — redoublement de sévérité pour la répression de la traite afin d’empêcher l’augmentation et le renouvellement des ateliers à Cuba et au Brésil, — immigrations d’Africains, d’Indiens, de Chinois et même d’engagés de race européenne, tels qu’habitans de Madère et autres cultivateurs acclimatés dans les régions tropicales : lord John Russell accordait tout, à la seule condition d’obtenir l’égalisation des droits qui devait déterminer le bon marché des sucres. Sa proposition fut adoptée : fixé d’abord à l’année 1851, le terme de la protection fut reculé jusqu’en 1854; à cette époque, elle cessa complètement.

Ce fut un temps de cruelle épreuve pour les colons. Il s’y ajouta, dès les premières années, une crise commerciale dont les effets se firent sentir dans le monde entier. En vain les planteurs, avec toute l’énergie et la ténacité de la race anglo-saxonne, firent-ils les plus grands efforts pour réagir contre ces funestes influences; les circonstances étaient plus fortes que les volontés. Les noirs ne donnaient plus qu’un travail capricieux et irrégulier; leurs prétentions semblaient grandir en raison de leur nonchalance même. La question des salaires, ils la tranchaient souvent par des vengeances et des incendies. Quant à l’introduction dans les colonies de travailleurs étrangers, bien que le gouvernement, par de sages mesures, en eût diminué les frais, elle était encore trop lente et trop restreinte pour alléger les souffrances de l’industrie coloniale. Aussi pendant les premières années les sucres anglais subirent une dépréciation telle que les planteurs furent réduits à les vendre à perte.