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l’ont, dit-on, demandé; mais une population hétérogène comme celle qui les habite peut-elle être armée sans danger ? Le patriotisme des habitans n’est pas douteux. Les créoles français sont braves, et un nombre relativement considérable de leurs enfans servent dignement dans notre armée; mais ces exceptions confirment la règle qui place les colonies en dehors de la loi commune du tirage au sort. Or cet impôt est celui qui pèse le plus lourdement sur la population de nos campagnes. Celle-ci a supporté les maux de la dernière invasion et elle en a payé, le prix soit de son sang, soit de ses biens. Il n’est pas douteux pour nous que nos compatriotes des colonies n’aient gémi de ne pouvoir supporter leur part de ces sacrifices. C’est le cas de rappeler que parmi les créoles résidant en France plusieurs ont pris spontanément les armes pour la défense du pays; mais ces dévoûmens personnels ne changent rien à la condition générale des colonies et les laissent dans une situation séparée. La nature leur donne une physionomie distincte : leur culture, leur industrie, leurs besoins, les mœurs de leurs ouvriers cultivateurs, tout est spécial dans les îles d’Amérique et à la Réunion; tout diffère, tout les distingue, tout concourt à les constituer en états particuliers. Déjà elles ont fait de grands progrès dans la voie de l’autonomie. C’est une carrière à parcourir jusqu’au bout. Dès 1822, le général Foy s’écriait : « Les Antilles ne sont ni les jardins ni les fiefs de l’Europe. C’est une illusion de notre jeunesse, à laquelle il faut renoncer. La nature les a placées sur le rivage d’Amérique : avec l’Amérique est leur avenir. C’est comme entrepôts de commerce, comme grands marchés placés entre les deux hémisphères, qu’elles figureront désormais sur la sphère du monde[1]. » Cette opinion était juste, mais à la condition de ne pas être prise dans le sens d’une séparation matérielle. Comprise comme recommandation de laisser aux colonies une existence à part, avec une administration complètement autonome, en réservant seulement à la métropole un droit de souveraineté abstrait, un lien moral qui comporte la défense par la marine, en temps de guerre, du territoire colonial et l’occupation des principaux forts coloniaux par les soins du ministère de la guerre, la pensée du général Foy était sage, et dans un temps plus ou moins proche la force des choses pourrait bien en amener la réalisation.

  1. De la Colonisation chez les peuples modernes, par M. Paul Leroy-Beaulieu. Paris 1875; Guillaumin.