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dans la consommation de l’île. Nos étoffes, nos meubles, nos bijoux seront longtemps recherchés dans les. pays qui les connaissent et dont les habitans dès l’enfance en ont contracté l’usage; mais cette consommation de luxe, durable peut-être dans les maisons riches, sera tôt ou tard écartée dans la masse de la population, où l’on recherchera d’abord le bon marché. Point d’illusions à cet égard : une fois émancipées, les colonies n’étant plus attachées à la métropole que par des liens d’affection platonique, n’ont en fait de marchandises à lui demander que ce qu’elle fait de mieux. Les produits les meilleurs, les plus utiles et les plus économiques sont les seuls qui, un jour ou l’autre, seront acceptés et trouveront place sur le marché colonial. Le lien est rompu. Le débouché, réservé autrefois, est sinon fermé, du moins très restreint, et le moment viendra où les manufactures françaises, comme celles de Rouen, n’y trouveront pas un placement plus assuré de leurs produits que sur toute autre place commerciale d’outre-mer.

Qu’on ait eu tort ou raison dans l’interprétation donnée à la constitution des colonies et aux pouvoirs des conseils-généraux dans les îles d’Amérique et à la Réunion, un fait reste incontestable : c’est que ceux-ci jouissent d’attributions qui dépassent de beaucoup celles des assemblées départementales dans la France continentale. Les conseils-généraux de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion votent, ainsi que nous venons de le voir, les tarifs de douane sur les produits étrangers, les tarifs d’octroi de mer sur les objets de toute provenance, l’assiette et les règles de perception des contributions.

Ainsi ces îles ont le pouvoir de se créer des ressources financières et d’en faire l’emploi. C’est un privilège considérable qui donne à leurs conseils une sorte de souveraineté dans l’étendue de leur juridiction et les transforme en assemblées législatives coloniales. Ce n’est déjà plus l’assimilation à la métropole, c’est beaucoup plus; ce n’est pas l’égalité avec les départemens français, c’est le privilège. Naturellement, toutes les fois que l’assimilation est au profit des colonies, elles la réclament; mais elles n’entendent pas s’y astreindre, quand cette assimilation n’est pas à leur avantage. Sans limiter l’autonomie qu’elles ont obtenue, elles veulent conserver et exercer tous les droits de la fusion complète avec la France métropolitaine, en un mot, garder les droits exceptionnels sans accepter toutes les charges. Les droits exceptionnels sont un régime fiscal particulier, un régime commercial tout spécial, l’exemption de certains impôts, et surtout celle du recrutement militaire, qui, comprenant maintenant la population française tout entière, ne s’étend pas à nos établissemens coloniaux. Les trois colonies