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On répondit surtout que les colonies, ayant contracté depuis longues années l’habitude des marchandises françaises, continueraient très probablement à rechercher ces marchandises, en admettant même qu’elles fussent plus chères. Les articles de goût seraient toujours demandés à la métropole, attendu qu’ils ne pourraient être remplacés par des marchandises d’aucune autre provenance dans un pays où l’élégance des modes, des meubles, de la bijouterie, des objets d’art provenant de France était depuis si longtemps appréciée par une population toute française. Enfin certaines places de commerce en France, inquiètes d’un changement si radical, avaient demandé qu’on en ajournât l’application; mais la situation des colonies était devenue intolérable. L’abolition de l’esclavage, accomplie avec quelque précipitation, avait laissé les colonies privées à la fois de bras pour la culture et d’argent pour l’introduction d’ouvriers étrangers empruntés à l’Inde ou à la Chine; au moment où elle avait été prononcée, les colonies étaient fort endettées. Il serait trop long de rechercher quelles causes avaient amené cette situation regrettable; ce qui est certain, c’est que la plus grande partie de l’indemnité accordée aux anciens propriétaires d’esclaves avait été employée à désintéresser en tout ou en partie leurs créanciers, et l’argent de cette indemnité était resté en grande partie dans les ports de France.

La loi de 1861 reçut donc son application immédiate, et peu de temps après fut promulguée une autre loi qui donna aux conseils-généraux des trois colonies des attributions très étendues, telles par exemple que le droit de voter les tarifs de douane sur les produits étrangers importés dans chacune de ces colonies. Par cette disposition législative, elles recevaient une autorité bien plus grande que celle des conseils-généraux des départemens français; elles se trouvaient en mesure d’exercer une partie des droits souverains de notre parlement, et elles se hâtèrent d’en profiter. Aussitôt en effet la Martinique, et bientôt après la Guadeloupe, votèrent la suppression de ces mêmes tarifs de douane. Était-ce mal interpréter la loi? La permission même de modifier les droits n’entraînait-elle pas l’obligation d’en maintenir le principe? la modification n’excluait-elle pas la suppression? Or les conseils-généraux coloniaux ne s’étaient pas bornés à la suppression du droit, ils l’avaient remplacé par un autre impôt, espèce de taxe municipale appelée octroi de mer. Cet octroi, véritable taxe d’importation, étant applicable aux marchandises françaises, celles-ci, par l’effet de la suppression du droit de douane, cessaient d’avoir aucune protection coloniale contre les marchandises de l’étranger. C’était l’époque de l’établissement d’un régime nouveau en France. Dans le trouble du moment, l’inexpérience