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de piédestal au charlatanisme. Il y avait à faire un compte de doit et avoir entre la métropole et les colonies. Celles-ci d’ailleurs, poussées à bout, étaient les premières à réclamer les compensations du libre échange pour balancer la perte de la protection.

C’est en 1861 surtout que leurs voix furent écoutées. L’occasion était favorable, car les principes de la liberté commerciale étaient alors au pouvoir et de plus à la mode. Entre le sucre des colonies et celui de la betterave, il n’y avait plus qu’un faible droit de protection, et cette protection devait bientôt cesser. Une réforme était urgente : on la devait aux planteurs, qui avaient le droit de se plaindre; on la devait à la morale et à l’équité. Voici donc quels changemens furent adoptés. Jusque-là, les colonies étaient tenues de réserver tous leurs produits pour la métropole; elles furent autorisées à les porter à l’étranger. Elles étaient obligées de se servir exclusivement du pavillon national; on leur conféra le droit de recourir aux navigations rivales. Il leur était interdit de recevoir des marchandises étrangères; à certaines exceptions près, on permit cette importation. Ainsi les colonies pouvaient désormais choisir le marché le plus avantageux et développer leur production en raison des moyens plus nombreux d’en placer les fruits. L’importation des marchandises étrangères devait contribuer d’ailleurs à l’augmentation de cette production en procurant au meilleur prix possible les engins nécessaires à l’agriculture et à la fabrication du sucre. Les droits étaient combinés de manière à permettre les progrès de cette dernière industrie, surtout par la construction d’usines destinées à remplacer les moyens imparfaits qu’on employait jusqu’alors pour cuire le sucre. Ces nouvelles usines, montées d’après les meilleurs procédés scientifiques, devaient tirer de la canne une quantité de jus bien plus grande que les anciennes batteries de chaudières installées sur les habitations, et par la centralisation des appareils diminuer les dépenses de main-d’œuvre. Cette législation ne fut pas adoptée sans peine et sans objections.

On disait que les colonies allaient déserter le marché métropolitain. Étant désormais autorisées à recevoir les produits de l’Angleterre et des États-Unis, elles donneraient sans doute la préférence à ces produits et les paieraient avec leurs propres denrées, c’est-à-dire avec leurs sucres, ce qui est la loi du commerce. On ajoutait que les marchandises étrangères pourraient très probablement être vendues à meilleur marché que celles de la métropole, surtout à cause de la différence du fret, le transport par navire étranger étant plus économique. À cette époque de réforme, on n’avait pas une complète expérience des effets de la liberté du commerce. Il fallut s’appuyer principalement sur des hypothèses pour réfuter cette objection.