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des produits du sol en échange des marchandises européennes. La plupart des chefs, affirme M. Waller, qui a été longtemps en relation avec eux, comprennent très bien que la chasse à l’homme et les massacres qui en résultent ruinent leur pays, et ils seraient heureux de voir un commerce régulier remplacer l’odieux trafic de chair humaine.

Même dans l’état actuel, les denrées d’exportation ne manqueraient pas, si les moyens de transport n’étaient pas si coûteux. Quand il faut tout porter à dos d’hommes, il n’y a que l’ivoire, l’or, les gommes ou les esclaves qui se transportent eux-mêmes, qu’on peut expédier avec profit jusqu’à la côte. Avec des bateaux à vapeur, un tramway ou un service d’éléphans, le commerce prendrait un développement extraordinaire. Dans le dernier chapitre de son livre, le commandant Cameron énumère les principaux produits que l’on pourrait exporter. C’est le sucre, car la canne prospère là où l’eau ne manque pas, — le coton qu’on cultive partout, et qui croît à l’état sauvage dans diverses provinces, notamment dans l’Ufipa, — l’huile de palme, qui abonde dans tout le bassin du Lualaba jusqu’à la hauteur de 700 mètres, — le café, qui croît spontanément dans le Karagwé et ailleurs et dont la fève aux environs de Nyangwé a la grosseur et la saveur du moka, — le tabac, cultivé un peu partout et qui dans l’Ujiji est de toute première qualité, — le sésame et l’huile de ricin, toutes les épices, le riz, le sorgho, le copal, le caoutchouc, le maïs, la banane, le chanvre, la cire, les peaux, le cuivre, l’or, le cinabre et l’argent, telles sont les principales richesses que recueillent déjà les indigènes, sans compter celles que l’œil de l’Européen découvrirait et que sa main mettrait en œuvre. L’exemple de M. Bonnat montre les chances de succès qui attendent les hommes entreprenans qui, appuyés par la Société internationale d’exploration, iraient se fixer dans cette magnifique contrée.

La centième partie des efforts qu’a coûtés la conquête de l’Inde suffirait pour fonder ici un empire plus grand, plus productif, moins coûteux à administrer et moins exposé aux compétitions de l’étranger. La terre vierge de l’Afrique centrale est autrement féconde que celle de l’Hindoustan, déjà appauvrie par des milliers d’années de culture épuisante. Régulièrement et bien plus abondamment fertilisée par les pluies équinoxiales, elle n’est jamais exposée à ces sécheresses qui produisent périodiquement de si cruelles famines dans les provinces de la grande colonie anglaise. Le nègre est un travailleur agricole bien plus vigoureux que l’Hindou, et, partout où règne un peu de sécurité, la population se multiplie rapidement et les bras abondent. Dans toute la région des grands lacs, les villages se touchent; leurs terres sont cultivées avec grand soin, et ceux qui les font valoir sont mieux nourris que les ouvriers ruraux de l’Europe.