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égorgés dans les razzias doit être bien supérieur à un demi-million.

Heureusement deux faits tout récens font espérer que la traite cessera dans toute la moitié occidentale de l’Afrique. Il y a quelques jours, le colonel Gordon, partant pour aller prendre à Khartoum le commandement de toutes les forces égyptiennes sur le Haut-Nil, a annoncé sa détermination de mettre à tout prix un terme à la traite, et, s’il ne succombe pas, il n’y a pas à douter qu’il n’y parvienne. On se rappelle qu’en 1873 sir Bartle Frere, à la tête d’une flottille anglaise, a arraché au souverain de Zanzibar la promesse de ne plus tolérer la vente et l’exportation des esclaves par ses états. Depuis ce temps, la traite se faisait par Kilwa; mais récemment le consul-général d’Angleterre, le docteur Kirk, a obtenu du sultan une proclamation qui déclare illégal l’équipement de toute caravane destinée au commerce des esclaves et qui menace de confiscation tous ceux qui arriveraient à la côte. L’édit ayant été rigoureusement mis à exécution, les bandes de captifs déjà en route vers la côte ont dû être ramenées vers l’intérieur. Les prêteurs d’argent refusent d’aventurer leurs capitaux dans des entreprises dont le résultat est si chanceux. Une expédition où 1 million de francs avait été engagé a abouti à une perle totale. La traite est donc pour le moment suspendue tout le long de la côte de Zanzibar[1]. D’après une note manuscrite du brave capitaine Young, qui commande la station Livingstonia, sur le Nyassa, des résultats inespérés ont été obtenus. Ordinairement 10,000 esclaves passaient par l’extrémité sud du lac, en route vers la côte. En 1876, seulement 88 de ces malheureux sont parvenus à destination par cette voie. Si par ces mesures énergiques on parvient à rendre les opérations de la traite trop chanceuses pour être profitables, il est probable que les marchands arabes y renonceront; mais, comme le fait très justement remarquer M. Horace Waller, il en résultera un grand danger pour les relations ultérieures avec le centre de l’Afrique. Les chefs indigènes et les trafiquans arabes qui résidaient dans cette région vont se trouver subitement privés des moyens de se procurer les cotonnades, les verroteries, les armes et les autres objets qu’ils payaient par l’exportation des esclaves. Ce n’est pas avec l’ivoire et le tabac seulement qu’ils peuvent donner la contre-valeur de leurs achats. Ils seront exaspérés de voir leur commerce anéanti, et très probablement ils chercheront à s’en venger sur les voyageurs et les missionnaires, qu’ils rendront responsables de la suppression de la traite. Le seul moyen d’échapper à ce péril, c’est de mettre à exécution l’idée du roi des Belges et de demander au centre de l’Afrique

  1. J’emprunte ces détails précis à une intéressante lettre publiée récemment dans les journaux anglais par M. Horace Waller, qui a résidé plusieurs années à Zanzibar et dans l’intérieur du continent africain.