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Bahr-el-Djebel, fleuve des montagnes. Il y forme des rapides qui interrompent la navigation près de la station égyptienne de Duffli. Bientôt après, dans une vaste fissure qui se poursuit vers le sud jusqu’aux lacs Tanganyka et Nyassa, s’étale le lac Mwoutan, que les Anglais nomment Albert en l’honneur du prince consort. D’après les explorations toutes récentes de l’ingénieur italien Gessi, lieutenant du colonel Gordon, il est situé à l’altitude de 670 mètres. Il mesure environ 220 kilomètres de longueur sur une largeur de 35 à 90 kilomètres. Il est borné à l’est par les hauteurs de l’Unioro, qui se dressent en falaises verticales de granit, de gneiss et de porphyre de plus de 300 mètres de hauteur, et à l’ouest par les Montagnes-Bleues, qui élèvent leurs cimes jusqu’à 1,800 mètres au-dessus de ses eaux. Le lac Albert est si encaissé que la plupart des rivières qui s’y déversent forment des chutes magnifiques. Vers le sud, il se termine en un vaste marécage où Gessi n’a pu pénétrer. Mais vers le nord ce voyageur a fait une découverte qui serait d’une immense importance, si ses prévisions venaient à se réaliser. Immédiatement à sa sortie du lac, le Nil se bifurque, et un bras se dirige vers le sud-ouest. On croit qu’il n’est autre que l’Iei, qui, en passant par le pays des Niams-Niams, rejoint le fleuve principal là où il forme le marais des îles flottantes. S’il en était ainsi, on pourrait peut-être éviter les rapides de Duffli et établir une navigation ininterrompue entre la Méditerranée et le lac Albert. Ce serait un avantage incalculable pour le commerce et pour la civilisation. Grâce aux annexions presqu’entièrement pacifiques faites par sir Samuel Baker et par le colonel Gordon, l’Egypte s’étend désormais jusqu’au lac Albert et devient ainsi un des grands empires du monde, car du fond de ce lac, qui se trouve précisément sous l’équateur, jusqu’à Alexandrie il y a 31 degrés ou plus de 3,000 kilomètres, ce qui fait quatre fois la longueur de la France, de Dunkerque aux Pyrénées.

A une quarantaine de lieues à vol d’oiseau du lac Albert, on rencontre le lac Victoria-Nyanza ou Oukérewé, la mer intérieure de l’Afrique. Sa superficie est de 84,000 kilomètres carrés, c’est-à-dire que, pour s’en faire une idée, il faut se figurer une nappe d’eau qui couvrirait toute la Suisse, plus la Lombardie et la Vénétie. Le lac Victoria est parsemé de grandes îles. A l’ouest, il est borné par la région alpestre d’Ouganda et de Karagwé, qui le sépare de l’Albert, et à l’est par le pays d’Ougejeia et d’Ourouri. Au nord se trouve le pays du roi M’tesa, dont la capitale, Dubaga, occupe une situation admirable dominant les eaux bleues de la baie Murchison. M’tesa a toujours bien accueilli les voyageurs européens qui l’ont visité, et il a même demandé qu’on lui envoie des missionnaires et des artisans pour initier son peuple à la civilisation européenne. Cependant j’ai entendu soutenir par le marquis de Compiègne, qui vient d’être