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même dépourvues de tout appareil militaire, peuvent s’établir et prospérer dans ces régions.

Les stations étant fondées à l’intérieur, la facilité du ravitaillement dépendra de leurs moyens de communication avec la côte. Jusqu’à présent tout est porté sur la tête des nègres, ce qui occasionne des difficultés et des retards dont on ne peut se faire une idée qu’en lisant les voyages de Livingstone, de Stanley et de Cameron. En ce moment même, un agent de la Société des missions de Londres cherche à découvrir le tracé d’une route pour des chars à bœufs, de la côte de Zanzibar au lac Tanganyka, et une expédition de cinq ou six personnes doit tenter l’aventure ce printemps-ci. Il me semble qu’il y aurait un moyen de transport beaucoup plus sûr, ce serait l’emploi des éléphans. Les Anglais en avaient fait venir de l’Inde pour leur guerre en Abyssinie, où ces puissans animaux leur ont rendu de grands services, malgré les profonds ravins qu’il fallait sans cesse traverser. Dans l’Afrique équatoriale, l’éléphant serait comme dans sa patrie, puisque l’espèce africaine y abonde. Il y trouverait une nourriture convenable et n’aurait rien à craindre de la terrible mouche tsétsè. Les transports s’effectueraient ainsi bien plus facilement qu’à dos d’homme ou même par charrette. Ce serait le précurseur du chemin de fer qui sera certainement construit avant la fin du siècle. Le colonel Grant a même déjà soumis à la conférence géographique de Bruxelles le tracé d’une ligne télégraphique partant de Khartoum, où finit le fil du Caire, pour aboutir à Delagoa-Bay, où arrive déjà le fil du Cap[1]. La ligne remonterait le Nil, suivrait les bords du lac Victoria et du Nyassa, et le colonel Grant, qui connaît bien le pays, est convaincu qu’on ne rencontrerait point d’obstacle insurmontable.

Mais, se demandera-t-on, à quoi bon tant d’efforts? L’Afrique centrale peut-elle être définitivement conquise par la civilisation? L’Européen peut-il vivre et les habitans se plieront-ils au travail régulier qu’exige tout progrès économique? Tout d’abord il reste encore à explorer au centre de l’Afrique une vaste région complètement inconnue qui figure en blanc sur nos cartes, des deux côtés de l’équateur, et qui mesure environ 4 millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire plus de sept fois l’étendue de la France. Les limites en sont tracées par les expéditions de Barth, Rohlfs et Nachtigal au nord, de Schweinfurth, de Baker, de Gordon, de Gessi et de Stanley à l’est, de Cameron et de Livingstone au sud, et de Tuckey, Du Chaillu, Güssfeld, Marche et Compiègne à l’ouest; c’est même l’un des principaux buts de la conférence de Bruxelles que de chercher le moyen de pénétrer enfin dans cette terra incognîta. Mais toute

  1. Remarks on a proposed line of telegraph overland from Egypt to the Cape of od Hope, by Kerry Nicholla esq. E. Arnold, esq., and colonel Grant. C. B.