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elle l’a rendu plus commun. Si l’art peut en souffrir, tout n’est pas à reprendre tant s’en faut sous le rapport moral. Il est bon que le culte des morts se maintienne, s’étende au plus grand nombre de familles possible. Nous n’examinons pas les sources de cette sorte de piété qui subsiste dans le peuple de Paris. Chez beaucoup, faut-il dire chez la plupart? elle peut bien se rapporter plutôt aux souvenirs du passé qu’aux espérances de la vie future, bien que rien n’indique non plus une négation systématique de perspectives ultérieures. Tel qu’il est, un tel sentiment veut être respecté et satisfait. Il est désirable qu’on en tienne compte au moment d’ouvrir de vastes champs funèbres. Ce sera comme un dernier progrès dans cet ordre d’idées et de faits. Une tombe à part, d’abord monopole de l’aristocratie, ensuite privilège plus étendu, sera alors le droit commun. Le communisme n’est bon nulle part, même dans la mort. Ce qui fut une personne mérite de rester au moins un nom. S’il doit y avoir toujours des pauvres dans la société des morts, il n’est peut-être pas nécessaire qu’il y ait toujours des misérables. En laissant dire ceux qui jalousent les somptueux tombeaux, on peut ôter du moins prétexte à ceux qui se demandent avec amertume combien on pourrait tailler de tombes modestes dans ces sépultures inutilement fastueuses que les services rendus ne justifient pas toujours et que l’art n’absout pas. Ce vœu que forment les familles pauvres doit recevoir un accueil d’autant meilleur qu’elles le présentent moins comme un droit que comme le pieux accomplissement d’un devoir qui leur est cher.

Nous avons terminé cette sorte de pèlerinage historique à travers les tombeaux, qui nous a permis de chercher dans le faste funéraire une des manifestations les plus claires et les plus frappantes de l’état religieux, moral et politique des sociétés. Sans revenir sur les idées qui nous ont guidé et sur les conséquences que l’histoire elle-même s’est chargée d’en tirer, il en est une qui résulte trop évidemment de cette étude : il n’est pas douteux que le luxe funéraire, pour rester à la fois dans ses justes bornes et pour briller de son légitime éclat, exige les inspirations les plus élevées qui ont présidé à son origine : il s’abaisse et se corrompt quand il obéit seulement aux motifs frivoles d’une vanité qui ne s’allie à aucune pensée supérieure. Les arts qui contribuent au faste funéraire se sont toujours repentis de cet abaissement des influences qui en modifient les formes : ils ne se sont épurés et relevés qu’avec les hautes inspirations qui rappellent ce qu’il y a dans la vie humaine de plus grand, et surtout en se pénétrant des idées mystérieuses et profondes qui conviennent à la mort.


HENRI BAUDRILLART.