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de sépulture, on put voir Melpomène, Thalie et Terpsichore. Les Muses figurèrent sur les tombes des poètes. Tous les styles furent mêlés, confondus. Le mérite individuel étant proclamé, tout le monde voulut avoir du mérite : à défaut de statue, les morts un peu notables eurent leur buste ou leur médaillon. La vanité bourgeoise fit étalage de sa richesse et d’une supériorité récemment conquise, dans des sépultures visant trop à l’effet. Le faste des inscriptions compléta et au besoin suppléa celui des mausolées. Il y en eut pour les rangs les plus modestes de l’industrie et du négoce. Sentimentales comme la littérature à la mode ou positives comme le siècle, les épitaphes exaltèrent les vertus de famille et les qualités de la profession. Si elle en était réduite à ce genre de documens pour juger notre époque, la postérité pourrait croire qu’aucune n’a rendu la vertu si commune. Le naturel fut ce qui manqua le plus dans des lieux où il semble qu’il soit si bien à sa place.

Le faste funéraire se ressent encore trop de ces influences. On se demande quelle forme d’art nouvelle l’a régénéré, quel sentiment religieux et moral inspire nos sépultures. La vanité y figure toujours pour une trop grande part. Certes une quantité de monumens honorent nos architectes et nos sculpteurs; mais parcourez ces champs funèbres, devenus l’image de la société par le nombre et la diversité des genres d’importance qui se les partagent, et où l’aristocratie, l’industrie, la banque, le commerce, la célébrité littéraire, l’illustration militaire et politique, ont des monumens à l’envi; ce qui manque à l’ensemble, c’est l’originalité, c’est la grandeur. Le petit luxe, trop souvent de mauvais goût, y tue le grand faste, j’entends celui que l’art consent à servir et à illustrer. Le genre de dévotion qui règne semble favoriser ces défaillances de l’art en multipliant ces petites images qui ont un singulier air d’idolâtrie. Pour ceux aussi qui ne donnent pas un sens religieux à la mort, c’est encore une industrie bien inférieure qui fabrique à bas prix, beaucoup trop cher pourtant pour ce qu’ils valent, les objets destinés à la décoration des sépultures. Babioles funéraires qu’il faudrait appeler ridicules si ces choses fausses et de mauvais goût ne servaient souvent d’expression aux douleurs les plus sincères. Au reste, le sentiment primitif n’a pas changé : si on pare ces tombes, c’est toujours en vue de plaire au mort; c’est à cette intention qu’on y dépose des fleurs, qu’on y entretient des jardins. La religion des morts subsiste, elle n’a même pas perdu son fétichisme, surtout dans les tombes d’enfans. Ils ont là leurs jouets, comme le guerrier barbare avait ses armes, comme la jeune femme égyptienne avait ses bijoux et son miroir.

Certes, à la vue de ce qui se passe, on peut dire que la démocratie a contribué à niveler le faste funéraire. Elle ne l’a pas supprimé :