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sent trop l’imitation païenne, et n’a jamais rempli d’ailleurs sérieusement cet office de servir de sépulture aux grands hommes. Arrêtons-nous devant l’abbaye de Westminster et devant cet autre temple, l’église de Saint-Paul. Sans doute ces églises, la première surtout, n’ont pas attendu le XVIIIe siècle pour recevoir cette destination, mais c’est ce siècle qui leur a surtout donné ce caractère. Les illustrations parlementaires y occupent une place d’honneur qui suffirait à indiquer la nature des institutions et l’importance que le pays y attache. Ces grands représentans et ces dévoués serviteurs de la vieille Angleterre, ces marins illustres, ces savans et ces écrivains, ces orateurs puissans dans leur attitude de combat, ces hommes d’état patriotes, montrent l’homme dans sa liberté et dans sa force, représenté par le citoyen anglais. La liberté, la patrie, la navigation, l’éloquence, la science, l’histoire, voilà, sous forme de trop fréquentes allégories, les divinités de ces lieux; mais comme on sent qu’il n’y en a qu’une qui soit véritablement vivante, l’âme elle-même, l’âme libre et fière de la Grande-Bretagne!

A Dieu ne plaise que j’accuse ces panthéons! Ils ont une sorte de grandeur qui impose et ils relèvent le génie de l’humanité. Les nations ont le droit d’ailleurs d’être fières de leurs grands hommes. Elles font un louable calcul en étalant, avec le témoignage éclatant de leur reconnaissance, de glorieux exemples mêlés à de nobles souvenirs. Combien plus touchante pourtant est la tombe isolée dans l’angle de quelque sanctuaire où on ne s’attendait pas toujours à la rencontrer, d’un guerrier, d’un poète, d’un artiste célèbre ! Le faste qui décore le monument, fût-il moindre, ressort avec plus d’effet, et l’impression qu’on reçoit remplit l’âme tout entière d’une seule pensée. Entrez à l’église de Saint-Sébastien, à Venise. Un seul homme y semble régner : c’est celui qui dort sous une pierre tumulaire surmontée de son buste, écussonnée de ses armes; c’est Paul Véronèse. Cette église, qui l’a vu travailler pendant des années, est son panthéon à lui, il s’y repose aujourd’hui dans la majesté solitaire de la mort et dans l’auréole immortelle de ses chefs-d’œuvre.

Revenons à la France. La révolution est une époque aussi dans l’histoire des tombeaux : ce n’est pas là son plus beau côté. Nous n’avons pas à rappeler ce que la terreur révolutionnaire a fait de ce faste funéraire, héritage accumulé des siècles, où revivaient, en quelque sorte les époques successives de l’art et de notre histoire nationale. Les fureurs huguenotes du XVIe siècle, qui avaient commencé cette œuvre de vandalisme, furent étendues à toute la France avec un effrayant ensemble dont les annales de l’anarchie n’offrent pas d’exemple. On en voulait à la monarchie, à la noblesse, à la religion, à l’orgueil qui attente à l’égalité, c’est-à-dire à tout ce qui