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IV.

Comment définir le XVIIIe siècle? quelle formule ne paraît trop simple pour contenir ce mélange d’élémens qui se complètent les uns par les autres tout en semblant se contrarier? Il n’est pas difficile d’en retrouver la marque jusque dans le faste funéraire. Malheureusement, quelque dignes encore d’admiration que soient en ce genre certaines de ses œuvres, les qualités mêmes de cette grande époque de l’esprit humain risquent ici de tourner en défauts en faussant les conditions de l’art. Sans doute il faut approuver l’application particulière qu’a faite le XVIIIe siècle de ses sentimens d’humanité et de philanthropie lorsqu’il a eu l’idée de créer de vastes cimetières hors de l’enceinte des villes. On ne peut lui refuser la même approbation lorsqu’on le voit honorer les tombeaux des hommes qui ont eu pour seul titre à ces magnificences posthumes le mérite personnel; mais ces idées d’humanité ne déclament-elles jamais, même sur les tombes? Le sensualisme philosophique n’y entre-t-il pas en un fâcheux partage avec les symboles religieux? La pompe qui s’y étale ne rappelle-t-elle pas trop parfois certaines tragédies du temps? N’y a-t-il pas là même une certaine mondanité, un luxe coquet et presqu’un goût régence? Tout cela ne constitue pas en somme un art funéraire qu’il faille recommander et surtout prendre pour modèle.

Qui plus que Pigalle fait honneur à la sculpture de ce temps? Ses bustes superbement posés ont conquis et gardent toute sorte de droits à l’admiration. La même énergie et la même puissance recommandent, surtout dans certaines parties supérieurement traitées, ses œuvres funéraires; qui songerait pourtant à les absoudre du reproche de violence et d’effet outré? Si remarquable que soit son Tombeau du duc d’Harcourt, placé dans une chapelle de Notre-Dame, la figure principale repousse par les symptômes les plus effrayans de la mort. Le mausolée du maréchal de Saxe à Strasbourg passe presque pour un chef-d’œuvre : c’est du moins peut-être celui de cet éminent artiste. Ce monument, justement apprécié, en a-t-il moins un caractère par trop théâtral? si l’effet est atteint, n’est-ce pas à l’aide de moyens bien compliqués? Nulle trace, il est à peine besoin de le remarquer, d’inspiration spiritualiste et chrétienne. Une fermeté toute humaine, d’ailleurs très frappante, soutient le maréchal qui, debout, descend d’un pas assuré les marches qui conduisent au tombeau. Le Génie de la guerre en pleurs porte un flambeau renversé, et, à côté de lui, la France éplorée s’efforce d’une main de retenir le héros et de l’autre main repousse la