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de Colbert, du cardinal de Mazarin, de Bignon, de Charles Lebrun, le grand peintre officiel, tombeau tel qu’il convenait à ses pompeuses et brillantes qualités, c’est-à-dire empreint d’une magnificence un peu théâtrale. On admire, dans l’église de la Sorbonne, le mausolée de Richelieu du même Girardon, auquel on doit les mausolées de Louvois, des Gondi, des Castellan. La noblesse, la sévérité, la finesse et la distinction dans la figure du redoutable ministre qui expire, soutenu par la Religion et pleuré par la Patrie, restent gravées dans le souvenir, Jacques Sarazin, contemporain de Lesueur et de Corneille, avait élevé des tombeaux dans le grand style de Louis XIII et du commencement de Louis XIV. La révolution les a brisés, dispersés. On n’a guère recueilli que quelques belles parties du mausolée en bronze élevé à la mémoire de Henri de Bourbon, prince de Condé. Où sont les quatorze bas-reliefs qui faisaient l’honneur de cet admirable monument? Regardez à Versailles le tombeau de Jacques-Auguste de Thou, par François Auguier. La réflexion et la mélancolie donnent une grave et belle expression à la physionomie de l’illustre historien. C’est Michel Auguier qui a élevé le monument resté célèbre de Henri de Chabot. « L’ensemble de l’œuvre, a pu dire un juge enthousiaste du XVIIe siècle, M. Victor Cousin, dans sa belle étude sur l’art français, l’ensemble en est imposant, et les détails sont exquis. La figure de Chabot est de toute beauté, comme pour répondre à sa réputation, mais c’est la beauté d’un mourant. Le corps a déjà la langueur du trépas, languescit moriens, avec je ne sais quelle grâce antique. Ce morceau, s’il était d’un dessin plus sévère, rivaliserait avec le Gladiateur mourant, qu’il rappelle, peut-être même qu’il imite. »

Le XVIIe siècle se reflète donc, lui aussi, dans ses monumens funéraires. C’est bien là sa religion pleine de convenance et de gravité plus que d’élan et de foi naïve. C’est bien cette alliance qui, dans ses artistes comme dans ses poètes, a su mêler le christianisme et la fable. C’est de même la belle ordonnance que ce grand siècle impose à toutes ses œuvres, toujours réfléchies et pourtant vivantes. Enfin on sent là aussi cette sorte d’égalité naissante à travers mille privilèges, cette égalité dont se plaint Saint-Simon dans la société des vivans : elle élève dans la cité des morts, à côté des mausolées des grands, les tombes imposantes non-seulement des magistrats et des parlementaires, mais des artistes et des gens de lettres. Symptômes nouveaux à ce point de développement du moins, à peine aperçus du grand siècle lui-même, — indices d’une révolution que l’âge suivant va se charger d’accomplir.