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René d’Anjou se distinguent par leurs sculptures, leurs images en relief, leurs moulures en feuillage, leurs colonnes de marbre et de porphyre, — la somptuosité toute monarchique des tombes des rois de France dépassait avec la tombe de Charles VIII tout ce que le faste royal avait jusqu’alors offert de considérable. La majesté suprême respire dans la statue du prince en bronze doré, grande comme nature, vêtue du manteau royal, entourée de quatre anges qui portent divers écussons. Sur les quatre faces du sarcophage en marbre noir sont placées douze figures de femmes, aussi en bronze doré. La monarchie française a désormais des tombeaux en rapport avec le grand rôle que la marche historique des faits lui assigne et qu’elle doit garder encore pendant trois cents ans.


III.

Le souffle de la renaissance devait passer sur l’art funéraire comme sur tous les autres arts. Nul éloge ne semble excessif devant les monumens pleins de majesté et de grandeur qui vont naître ; mais on y sentira l’influence de cette mythologie qui semble faire concurrence au christianisme. Une dévotion trop matérielle altère le goût par la recherche des représentations physiques, si chères aux penchans idolâtriques des races méridionales. Le genre théâtral n’était qu’un germe, il va se développer sans qu’on puisse désormais assigner une limite à laquelle il s’arrête. Les têtes de mort, les squelettes, plus tard l’imitation des cadavres en dissolution, satisferont ce goût nouveau et malsain. Le diable et l’enfer, qui figurent la peur, tiendront plus de place souvent que les emblèmes qui expriment l’amour de Dieu. Voilà bien ce temps qui offre un type à la fois de dévotion et de débauche dans cet Henri III qui lui-même aimait ces représentations de la mort hideuse et avait l’idée d’en orner jusqu’à ses reliures ! Aussi bien ce goût maladif est partout. On recherche les momies avec une sorte de passion. Le célèbre médecin Ambroise Paré rapporte qu’il s’en établit en Égypte même une fabrication frauduleuse. Les cadavres des pauvres et des criminels en offraient la matière à d’habiles préparateurs. À cette manie luxueuse se joignit l’idée de se servir de ces momies comme de drogues. François Ier en portait toujours sur lui un petit paquet pulvérisé avec de la rhubarbe. Il se forma même en France une fabrication clandestine dont Ambroise Paré divulgue la recette. Par une de ces mystifications dont les érudits n’ont été à l’abri à aucune époque, de très savans hommes allèrent jusqu’à tirer argument de ces momies indigènes contre l’exactitude des historiens grecs qui n’indiquaient pas la même composition, et le grand Scaliger, se posant en conciliateur, fit de ces momies une