Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défunte porte la couronne ducale à côté de son époux Jean sans Peur, et quatre anges soutiennent ses armoiries. Sur la tombe de Pierre de Navarre, comte d’Alençon, inhumé en 1418 dans l’église des Chartreux, on peut voir la statue de Catherine d’Alençon, sa veuve, qui prenait elle-même place dans le sépulcre en 1462. Isabeau de Bavière attendit avec une patience qu’on s’imagine sans peine de sa part plus de onze ans avant d’aller rejoindre Charles VI. Quelle épigramme en plus d’un cas que ces statues destinées à servir de symbole à l’inviolable fidélité, à l’union indissoluble ! idée touchante en elle-même quand l’histoire ne s’est pas chargée d’y apporter de trop cruels démentis. On n’a nulle raison de ne pas se laisser aller à cette impression plus confiante devant le monument de Juvénal des Ursins, surmonté aussi par la statue de sa veuve, la dame Michèle de Vitry, bien qu’on sache par les dates de la mort des deux conjoints que la dame ait fait attendre son mari encore vingt-cinq ans.

Ce siècle de mœurs légères et de royauté qui, de toute façon s’émancipant, en prend à son aise avec la morale et les convenances trouve encore son expression dans certains tombeaux qui eussent paru scandaleux à d’autres époques. Tel est le monument élevé à Agnès Sorel. On le voit aujourd’hui, à Loches, dans la tour du château, dite la Tour d’Agnès. Là du moins la belle maîtresse de Charles VII semble dans son cadre naturel. Ces lieux furent témoins de ses éblouissantes splendeurs et de ses dispendieuses folies. Autrefois ce monument figurait avec pompe dans le chœur de l’église de Notre-Dame de Loches. En lisant l’inscription qui célèbre ses vertus charitables, on eût pu se tromper aisément sur la qualité de la défunte. Même en ce lieu plus profane où elle est aujourd’hui placée, en présence de cette tombe élégante, on a quelque peine à s’habituer à la vue de ces deux anges qui tiennent l’oreiller où s’appuie la tête de la belle des belles, et de ces deux agneaux qui supportent ses pieds. Il n’y a pas lieu d’invoquer l’indulgence due aux Madeleines repentantes, et il faut avouer que la poésie qui longtemps prit sous sa protection la brillante favorite semble aujourd’hui un peu passée de mode. On ne répète qu’avec une demi-confiance la légende d’une Agnès ayant un réveil de patriotisme et de courage et secouant la torpeur de son royal amant, ainsi que les héroïques appels que lui prête le poète Baïf :

Doncques, sire, armez-vous, armez vos gens de guerre,
Délivrez vos sujets, chassez de votre terre
Votre vieil ennemi……….
Si l’honneur ne vous peut de l’amour divertir,
Vous puisse au moins l’amour de l’honneur avertir.

Y eut-il un tel éclair de générosité dans l’âme de la séduisante