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Le voilà bien, ce prince aimable et brave, spirituel, prodigue, couvert de dettes ; c’est lui qui s’est commandé ce tombeau. On se le figure avec sa bonhomie imprévoyante, tout au sortir d’une fête et à la veille d’une autre réjouissance qu’il prépare, s’assurant de la beauté des marbres qu’il fait tout exprès acheter à Paris. C’est lui qui fait les comptes de la main d’œuvre, et qui conclut un traité pour l’exécution du monument avec Claux de Verne, son valet de chambre et son tailleur d’images. Il laissait au fameux Jean sans Peur, son fils, le soin de ratifier le traité et bien entendu de payer les dettes. Cette sépulture se place, par les représentations mêmes qu’elle reproduit, sur la limite de deux époques. Jetez un coup d’œil sur l’ensemble et sur les détails d’une délicatesse achevée[1]. Le moyen âge apparaît dans les sculptures qui, sur les quatre côtés du monument, représentent un cloître, avec ses galeries découpées à jour dans l’albâtre, avec ses arcades et ses colonnes. Le long défilé de ces figurines de moines encapuchonnés complète l’évocation. C’est bien là l’expression diversifiée et uniforme de ce monde cloîtré. On lit sur ces physionomies tour à tour la sainteté. recueillie, la bonhomie placide et sereine, l’ascétisme sec et dur; sur d’autres visages, moins prédestinés à refléter les vertus du cloître, percent des penchans plus sensuels, des pensées plus positives. On se demande si ce sont là autant de portraits d’individus réels ou des types de la vie monacale au moyen âge. Voici maintenant la puissance civile. La statue du prince, en marbre blanc et drapée, couchée sur un sarcophage noir, est revêtue de tous les insignes de son rang. Ses pieds s’appuient sur le dos d’un lion. Remarquez le nombre, considérable aussi, de statuettes représentant les divers personnages de la maison des ducs de Bourgogne. Enfin l’élévation même du tombeau sur un socle et une base en marbre noir fixe la pensée sur une image de grandeur qui se détache avec relief au milieu de cet entourage ecclésiastique. L’effet est le même devant le tombeau de Jean sans Peur, exécuté sur le même modèle, mais plus imposant et plus orné encore. On a sous les yeux, dans cette trop fidèle image qui montre le caractère brutal de l’homme, l’énergie d’un pouvoir qui sent sa force[2].

La présence fréquente des statues de femmes, même encore vivantes, sur les tombeaux de leurs époux, atteste alors l’importance croissante de la femme dans la société. Marguerite de Bourgogne

  1. Les tombeaux des ducs de Bourgogne à Dijon ont été saccagés pendant la révolution, mais les débris conservés avec soin ont permis une intelligente restauration qui figure aujourd’hui au musée de cette ville.
  2. On trouve la description la plus détaillée et la plus sentie des tombeaux des ducs de Bourgogne dans les Impressions de voyage et d’art qu’a publiées ici même M. É. Montégut, — Revue du 1er mai 1872.