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des papes d’Avignon. Celui d’Innocent VI présentait seize belles statues de marbre, sans compter celle du pontife ; celui d’Urbain V, construit aussi en forme de chapelle, montrait plus de trente figures, les unes en ronde bosse, les autres en bas-relief : le visage du pontife était en argent. Paris n’était pas au-dessous de ces splendeurs. La seule église des Chartreux voyait s’élever dans son enceinte, en moins d’un siècle, dix-sept tombeaux qui semblaient presque tous rivaliser entre eux de magnificence. Parmi les plus superbes sépultures de ce temps-là se placent celles des deux fous du roi Charles V, peu fidèle peut-être à son surnom le jour où il se permit cette fantaisie. Les mausolées de ces deux bouffons, morts à peu de distance l’un de l’autre, devinrent des types par leur beauté. On est allé jusqu’à soutenir que les plus magnifiques sépultures royales du XVe siècle n’en furent que des imitations. Le premier de ces tombeaux, celui de Thévenin de Saint-Légier, fut érigé dans l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois ; le second à Senlis, dans l’église de Saint-Maurice. Sauval, qui a vu celui-ci au milieu du XVIIe siècle, en a laissé une description. Les belles tombes royales se multiplient. On cite celle de Charles V lui-même, le monument de la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois, et de la princesse Jeanne, leur fille, autour duquel étaient placées vingt-quatre statues en albâtre. Partout se dressent les sépultures imposantes de princes, de grands, de hauts fonctionnaires du tiers-état. On trouve déjà même des monumens funéraires élevés à des hommes de la classe moyenne. Tels sont ceux de Nicolas Flamel, libraire, et de sa femme, de Simon de Dammartin, valet de chambre du roi, et de sa femme, de Nicolas Boulard, écuyer de la cuisine du roi, et de sa femme Jeanne Dupuis : toutes ces tombes sont avec statues. La haute magistrature prend surtout alors dans le luxe funéraire une place proportionnée à son importance croissante. L’expression de luxe funéraire se justifie à la lettre par une masse d’ornemens surajoutés aux tombeaux. Les meubles, les bijoux de tout genre en or ou en argent, enrichis d’images ciselées, images niellées, les aiguières, les coupes, etc., y figurent à côté des anges, qui tiennent des flambeaux ou des encensoirs.

Avec le XVe et le XVIe siècle, malgré les rapports qu’ils gardent avec le moyen âge, s’ouvre l’ère moderne du faste funéraire. N’est-il pas caractéristique qu’au XVe siècle la série des grands tombeaux de la royauté soit marquée par les sépultures des ducs de Bourgogne, comme par un trait d’union entre les tombes féodales et les imposans monumens du faste monarchique ? Le tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, ouvre cette galerie funéraire, qui aboutit aux magnificences des sépultures royales et pontificales du XVIe siècle. Ô passion du faste dans la noble maison de Bourgogne !