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de ce qui n’est plus semblent eux-mêmes rendre témoignage du néant. Tout s’efface à l’idée de cette croix qui les surmonte et de cette poussière qui est sous vos pieds.

C’est à tort qu’on croit que le moyen âge s’est plu à donner à la mort sur les tombeaux un aspect lugubre. Les hideuses images qu’il en a créées en effet et si souvent placées ailleurs, le goût qu’il manifeste en plus d’un cas pour le laid, ont pu faire supposer qu’il avait fait aussi des sépulcres une sorte de théâtre pour ces funèbres exhibitions. Rien n’est moins fondé. Le moyen âge en général épargne à la tombe ces scènes affreuses et grotesques de la mort et de l’enfer. Il aime à l’entourer des images gracieuses de la vie; il répand dans l’ornementation des feuillages et des fleurs en quantité, il fait plus : il ensevelit les trépassés au milieu de vraies feuilles et de vraies fleurs, au milieu des roses, dont on retrouve encore les épines; ce feuillage éternellement vert était, dit-on, un symbole de renaissance et d’immortalité. C’est aussi la vie qui domine dans ces chasses, dans ces représentations du défunt qui le montrent en pleine possession de l’existence, dans l’aspect de ces abbés et de ces abbesses avec leurs crosses, de ces évêques avec leurs chasubles d’un bleu verdâtre, leurs mitres blanches traversées d’un bandeau rouge, de ces religieux vêtus de diverses couleurs qui se détachent parfois sur un fond noir, enfin dans les ornemens plus extérieurs des sépulcres. Ici la poésie pourrait servir à commenter la sculpture; elle a su parfois donner à la description de la tombe une sorte de charme pénétrant. C’est ainsi qu’elle semble se complaire à nous peindre le sépulcre où l’on a déposé le corps charmant de Blancheflor et où elle retrouve l’image de son fiancé. « Sépulcre bien moulé d’or et d’argent, nous dit l’aimable trouvère. Il n’y a sous le ciel bête ni oiseau, serpent ou poisson ne de la mer qui n’y soit placé. La tombe est établie devant un moutier, sous un arbre, et recouverte d’une pierre que firent les orfèvres de Frise de moult fin marbre inde, jaune, noir, vermeil, reluisant au soleil. Deux enfans y sont figurés, l’un ressemblant à Floire, l’autre à Blancheflor. La belle tient devant son ami une rose d’or fin, et Floire porte une fleur de lis. Sur la tête de Floire brille une escarboucle ardente qu’on aurait vue d’une lieue dans une nuit obscure. Quatre tuyaux pratiqués dans la tombe amènent l’air des quatre vents, de manière que, s’il vient à toucher ces jeunes gens, l’un baise l’autre et l’accole. Ils se disent par nécromancie leurs bons souvenirs d’enfance. Floire dit à Blancheflor : « Baisez-moi, belle, par amour, » et Blancheflor, en le baisant, lui répond : « Je vous aime plus que rien vivant. » Oncques ne fut tombe si belle, bordée qu’elle était de riches listes et environnée de bons émaux, de pierres douées de beaucoup de vertus, opérant de grandes merveilles : saphir, calcédoine,