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Est-ce toutefois le caractère monarchique qui prévaut durant ces siècles dans le faste funéraire? Non, la France entière présente dans toutes ses parties des monumens funéraires d’un aspect imposant. Cette dispersion même suffirait pour convaincre que la puissance qui s’y manifeste est très morcelée. Tout dans ces monumens montre une aristocratie indépendante, dominatrice dans l’intérieur de ses domaines, portant haut la tête et ne la baissant que devant Dieu, — aristocratie orgueilleuse et dévote, oppressive et chevaleresque, guerrière jusqu’à vouloir retrouver dans ses plaisirs l’image des combats, fidèle à elle-même enfin lorsqu’elle plaçait sur ses tombeaux les insignes de tout ce qu’elle avait aimé, ses écussons et ses armoiries, ses armes et ses chasses, comme ses symboles religieux. Cet aspect féodal des tombeaux subsiste jusqu’à la fin du XIVe siècle et souvent même plus tard. Lorsque les vivans ont subi déjà le joug de la royauté, les morts conservent encore parfois leur attitude souveraine, comme ils gardent les hautaines devises du passé. Au reste la féodalité orgueilleuse et l’humble religion se partagent ces sépultures. D’un côté l’homme y apparaît fort et puissant. Nulle aristocratie guerrière n’avait eu un air comparable à celui-là dans la mort. Rien dans le faste funéraire des anciens n’annonce, ne peut seulement faire pressentir ces preux chevaliers, couchés tout armés, ou qui se dressent sur leur tombeau. Ce titre qu’ils se donnent de hauts et puissans seigneurs, qui songerait à le leur disputer? Morts, ils semblent encore commander. Non contens de commander aux hommes, parfois ils commandent aux anges eux-mêmes. Dans ces représentations plus d’une fois fastueuses par l’inspiration, alors même que l’exécution reste simple, ce sont en effet des anges qui portent le casque ou l’écusson du noble défunt, qui tiennent à la main la queue de son manteau, qui ouvrent devant lui son livre de prières. Tous, dans le lieu saint, s’agenouillent devant ces êtres surhumains. Le fier seigneur croirait naïvement déroger en ne mettant pas à ses ordres même ces serviteurs de Dieu, le seul maître qu’il reconnaisse au ciel comme sur la terre. Et pourtant dans ces sépultures féodales l’orgueil nobiliaire n’étouffe pas le sentiment chrétien. En dépit de ces pompeux insignes, tout montre le plus souvent que l’homme lui-même appartient à d’autres pensées : une piété muette et recueillie est comme posée sur les traits d’un calme infini; les yeux sont clos par un demi-sommeil qui semble hanté par une vision céleste, les mains jointes ne se lèveront plus pour faire le geste du commandement. Abaissez vos regards de ces scènes qui décorent les tombeaux de ces seigneurs sur les inscriptions qui semblent donner une voix au mort lui-même : elles s’humilient, elles s’accusent, elles invoquent une prière du dernier passant. Ces souvenirs brillans