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sur le vaste territoire où les deux races se touchent et se mêlent. Aux yeux des Slaves comme à ceux des Grecs, la frontière du nouvel exarchat devait dessiner le cadre futur d’un état bulgare et marquer d’avance la part de l’héritage ottoman léguée à chacune des deux nationalités. Sur ce terrain, les prétentions des deux parties devaient être inconciliables. Le firman impérial portait que la juridiction de l’exarque s’étendrait sur toutes les contrées habitées par les Bulgares et sur toutes les localités à population mixte où les Bulgares étaient en majorité. Par cette dernière clause, qui concernait le nord de la Thrace et de la Macédoine, la Porte, non contente de reconnaître la nationalité bulgare, l’admettait officiellement à faire valoir ses prétentions sur les pays situés au sud du Balkan : c’était ce que redoutaient par-dessus tout les Grecs.

Les deux parties, mises en demeure de présenter un projet de partage, se préoccupèrent moins de délimiter nettement les deux églises et les deux nationalités que de maintenir leurs prétentions sur les contrées concédées à leurs adversaires. Les Bulgares abandonnaient au patriarcat des diocèses entièrement slaves et en réclamaient d’autres plus au sud, s’efforçant de pousser une double pointe vers la mer, d’un côté jusqu’au golfe de Salonique, de l’autre jusqu’au golfe d’Orphano, afin de couper en deux les pays grecs et d’isoler les Hellènes de la Thrace de ceux de la Thessalie. Le patriarcat, de son côté, était surtout soucieux de maintenir les Grecs au pied des Balkans, et pour cela réclamait de nombreuses enclaves dans les pays qu’il était obligé de céder aux Bulgares. L’évêque étant en Turquie le chef civil ou le représentant légal des chrétiens auprès des autorités provinciales, on comprend l’importance de cette répartition des sièges épiscopaux. En de telles luttes nationales, il faut peu compter sur la justice et la modération des deux adversaires. Dans les éparchies (diocèses) dont ils étaient mis en possession, les Bulgares, la veille encore sous le joug des Phanariotes, ont parfois usé de leur pouvoir pour opprimer à leur tour leurs maîtres de la veille, fermant les églises et les écoles grecques, et voulant imposer l’usage du slavon à ceux auxquels ils reprochaient d’avoir voulu les contraindre à prier en grec. Pour enlever à l’hégémonie bulgare les communautés grecques des districts à population mixte, les Grecs du Phanar trouvèrent que le plus sûr moyen était d’élever entre eux et leurs anciens sujets une barrière spirituelle que la Porte ne pût renverser sans toucher à la liberté de conscience. Le synode de l’église d’Orient excommunia le nouvel exarque et ses évêques, les retrancha de la communion orthodoxe, et par le seul fait du schisme Grecs et Bulgares ne pouvant plus être confondus sous le même pasteur, les deux églises durent partout demeurer